Entre les répétitions de l’opéra ” L’Aiglon ” qu’elle met en scène à l’Opéra de Marseille, Madame Renée Auphan répond en toute simplicité à quelques questions: Portrait d’une femme aux multiples talents.
Chanteuse, Directrice de théâtres, mais aussi metteur en scène, votre carrière artistique est un sans faute ; alors, qu’est-ce qui a conduit la jeune Renée Auphan sur les scènes lyriques ?
Ah ! dit-elle avec un joli sourire, le hasard…. Le hasard mais aussi ma mère. Une mère qui aimait la littérature et qui me lisait, à six ans déjà, les pièces classiques. C’est elle qui m’a donné le goût des belles lettres et des textes bien écrits ; mais la musique classique ne faisait pas partie de notre univers. C’est en répondant à une petite annonce lue dans le journal de l’époque, Le Provençal, que, sur la demande de ma mère, encore, je me suis présentée à l’Opéra de Marseille où le metteur en scène Louis Ducreux cherchait une assistante pour une période d’un mois. Ce travail consistait à prendre des notes. Ce fut un choc instantané. Je venais de découvrir un monde inconnu mais qui me ressemblait ; un monde romantique fait de rêves où l’art était omniprésent. J’ai eu la chance d’être engagée… et pour plus d’un mois. Il était évident que j’avais ici trouvé ma place. Et je n’ai jamais quitté le monde de l’opéra.
Si Louis Ducreux a été votre mentor, d’autres belles rencontres ont certainement jalonné votre parcours
En effet, Louis Ducreux, était un immense artiste, en plus d’être un grand directeur, il était aussi comédien et metteur en scène. C’était un grand Monsieur, dont la classe et le talent artistique étaient éclatants. Après l’Opéra de Marseille Louis Ducreux a été nommé Directeur de l’Opéra de Monte-Carlo, et je l’ai suivi. Travailler auprès de lui a été un apprentissage extraordinaire mais aussi un bonheur qui a duré de nombreuses années. Imaginez, j’ai pu rencontrer des metteurs en scène tel Raymond Rouleau, d’immenses compositeurs : Francis Poulenc, Darius Milhaud, Henri Sauguet entre autres, des écrivains et auteurs de théâtre : André Roussin, Maurice Druon, Edmonde Charles-Roux, ou côtoyer Bernard Buffet qui venait de créer les décors pour l’opéra Carmen à l’Opéra de Marseille. C’était une époque bénie pour les arts.
Lorsque l’on vous rencontre, on ne doute pas un instant que vous étiez faite pour une carrière artistique, mais avec le recul, auriez-vous pu emprunter une autre voie ?
Mon parcours théâtral est d’une telle évidence, que je serais tentée de vous répondre non, car, avec le recul, je pense que j’étais si imprégnée de littérature que je n’aurais pu être heureuse que dans un métier artistique. Le chant est venu plus tard, par hasard encore, poussée par des collaborateurs, qui, fatigués de m’entendre chanter dans les couloirs, m’ont conseillé de prendre des cours avant de pousser plus avant dans cette voie ( voix ? ). Mais tout ceci ne fait-il pas partie des rêves qui hantent les maisons d’opéras ? Certaines rencontres avec des chefs d’orchestre ont été marquantes ; voir diriger Igor Markevitch, par exemple, a été un choc émotionnel qui m’a portée vers la musique dite classique. C’est sans doute cette émotion qui m’a fait tant apprécier de chanter sous la direction de Sir Charles Mackerras ou Sir Georg Solti, impressionnants.
Dans cette carrière artistique si riche, qu’est-ce qui vous a donné le plus de fierté ?
Vous savez, je ne suis jamais pleinement satisfaite. Je suis trop lucide, trop perfectionniste. Je suis très heureuse de mon parcours car il m’a procuré des joies multiples et diverses avec des rencontres et des échanges humains rares. C’est certainement tout cela qui a comblé ma vie professionnelle et artistique. Ce qui m’a le plus profondément touchée, c’est la réfection d’une ancienne usine hydroélectrique à Genève, sur le Rhône, transformée en salle d’art lyrique de pratiquement 1000 places. C’est un véritable Opéra sur l’eau, dans une structure datant du XIXe siècle avec des verrières magnifiques. Oui, ce projet mené à bien spécialement pour moi m’a causé une immense joie. Mais c’est sans doute ma façon d’exercer les fonctions que l’on m’avait confiées, avec intégrité et toujours une grande honnêteté envers les villes, sans dépenses vertigineuses, qui me laisse un sentiment de satisfaction personnelle. Il ne faut pas oublier toutefois les bonheurs liés aux voix, aux choix artistiques et à leurs réalisations.
Qu’est-ce qui détermine votre choix pour une nouvelle mise en scène ?
Je n’ai pas vraiment cherché à faire de la mise en scène ; au Théâtre de Lausanne, nous voulions monter l’oeuvre du compositeur suisse Henri Matter La Femme et le pantin, il paraissait impossible de trouver un metteur en scène, alors le compositeur a fait appel à moi, pensant qu’une femme était ce qu’il fallait pour cet ouvrage. Ce fut ma première expérience. Ensuite, c’est selon mes coups de coeur, mes envies pour des oeuvres qui me touchent et que je veux voir ou revoir.
Est-ce cette passion pour la littérature qui vous fait rester au plus près du texte et de la musique dans des détails d’une justesse raffinée ?
Certainement, Je ne dissocie pas les deux. Tout d’abord le livret, il ne doit être ni mièvre ni mal écrit, cela, selon moi, discrédite la musique. Puis, les indications du compositeur donnent la direction à suivre pour diriger les acteurs dans les atmosphères contenues dans la partition. Prenez Sampiero Corso de Henri Tomasi ; faire chanter cet ouvrage en français ne me satisfaisait pas entièrement, alors, je l’ai fait chanter en langue corse, et là, tout était cohérent, l’accent, la musique, l’action. L’opéra est un art complet, et l’on ne peut rien dissocier, ni le texte, ni la musique, ni le visuel.
Pensez-vous que le virage amorcé, depuis quelques années déjà, par certains metteurs en scène afin de ” dépoussiérer ” l’opéra soit bénéfique pour l’art lyrique ?
Je suis très partagée sur ce sujet. Les mises en scène de Louis Ducreux ou de Raymond Rouleau, par exemple, étaient des mises en scènes intelligentes. Si vous prenez Les mamelles de Tirésias, de Francis Poulenc dans la mise en scène de Louis Ducreux données à Marseille en 1971, ce spectacle était déjà d’une conception moderne ; mais c’est Le Ring, présenté au Festival de Bayreuth en 1976, dans la mise en scène de Patrice Chéreau qui a révolutionné les opéras de Richard Wagner. Dans des cas pareils, où tout est pensé de façon intelligente, sans jamais ridiculiser les chanteurs tout en portant une grande attention à la musique, alors je ne suis pas contre. Mais, si nous sommes dans cette nouvelle dictatures des metteurs en scène et des régies théâtre, où tout est fait pour choquer ou dans le but d’avoir son nom sur l’affiche avant celui du compositeur ou des chanteurs, alors, je puis vous dire non, ce procédé ne sert pas l’opéra. Comment penser qu’une musique de Mozart jouée avec toujours le même succès depuis plus de deux cents ans ait besoin d’un coup de plumeau ? Ridiculiser les chanteurs qui doivent se plier aux diktats des metteurs en scène n’apporte certainement rien de positif, et le public va se lasser, ou du moins je l’espère.
En tant que directrice de théâtre, est-il possible de revenir sur un contrat signé avec un metteur en scène ?
On peut toujours mette fin à un contrat passé avec un metteur en scène, et c’est heureux. Il faut le prévoir à l’avance, parlementer, et bien sûr, payer un dédit. Mais normalement, on doit arriver à s’entendre.
D’après vous, le public a-t-il changé et est-il plus ou moins exigeant ?
Certes, il a suivi l’évolution normale ; Internationalement moins exigeant peut-être, il est plus pointilleux sur le plan musical et vocal, réclamant un jeu théâtral plus approprié.
Que pensez-vous de la place de la femme dans l’art et plus particulièrement en tant que metteur en scène ?
A part pour les chanteuses, qui ont un rôle bien défini, il est toujours plus difficile pour une femme de s’imposer. Les femmes metteurs en scène ne sont pas légion, Margarita Wallmann avait déjà ouvert les portes il y a quelques années, elles ont une autre approche du théâtre, une autre énergie ; mais actuellement, elles ont souvent peur de paraître trop femmes et suivent alors les voies tracées par les hommes. C’est fort dommage car elles perdent de leur authenticité.
Qu’est-ce qui vous a séduite d’emblée dans L’Aiglon ?
J’ai tout de suite aimé cette oeuvre, la pièce d’Edmond Rostand tout d’abord, mais aussi ce personnage qui m’avait donné l’envie de chanter le rôle. Les metteurs en scène Patrice Caurier et Moshe Leiser avaient su immédiatement tirer la quintessence de l’oeuvre associée à la musique. C’est une pièce dont il est difficile de se détacher, et l’ai eu un immense plaisir à la reprendre.
Pouvons-nous finir sur les moments les plus marquants ou les plus émouvants de votre carrière ?
Il y a eu de nombreux ” Grands moments ” vous vous en doutez bien, mais celui qui s’impose à ma mémoire avec le plus de force est le moment où j’ai quitté le Théâtre de Lausanne. J’avais créé moi-même ces saisons lyriques, fait venir un public, qui était en demande, pour écouter de grands artistes, voir de grands opéras. c’était un peu comme se séparer d’un être aimé, mais en plus de l’émotion du moment, une grande fête surprise avait été organisée pour moi avec les amis, les collaborateurs et de nombreux artiste. C’est un immense souvenir.