Orange, Théâtre Antique, Saison 2016
“LA TRAVIATA”
Opéra en trois actes et un prologue, livret de Francesco Maria Piave, d’après La Dame aux camélias roman d’Alexandre Dumas fils.
Musique de Giuseppe Verdi
Violetta Valéry ERMONELA JAHO
Flora Bervoix AHLIMA MHAMDI
Annina ANNE-MARGUERITE WERSTER
Alfredo Germont FRANCESCO MELI
Giorgio Germont PLACIDO DOMINGO
Gastone di Letorières CHRISTOPHE BERRY
Il Barone Douphol LAURENT ALVARO
Il Marchese d’Obigny PIERRE DOYEN
Il Dottore Grenvil NICOLAS TESTE
Guiseppe REMY MATHIEU
Choeurs des Opéras d’Angers-Nantes, Avignon et Marseille
Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine
Direction musicale Daniele Rustioni
Mise en scène Louis Désiré
Scénographie & costumes Diego Mendez Casariego
Eclairages Patrick Méeüs
Orange, le 6 août 2016
Un spectacle réussi en tous points où mise en scène et voix étaient en symbiose avec le compositeur ; fait plus que rare depuis quelques années. Quel plaisir de quitter le théâtre pleinement satisfait, heureux même, des étoiles plein les yeux ! En effet, après Giacomo Puccini et son opéra Madama Butterfly, c’était Giuseppe verdi et La Traviata – certainement son opéra le plus joué de par le monde- qui venait clôturer l’édition 2016 des Chorégies d’Orange. Créé le 6 mars 1853 à La Fenice de Venise, cet opéra sera avec Rigoletto et Il Trovatore à l’origine de la renommée internationale, jamais démentie, du compositeur. On a toujours certaines craintes à l’annonce d’un opéra aussi intimiste sur la scène démesurée du Théâtre antique, mais ici, nous ne pouvons que louer l’intelligence du metteur en scène Louis Désiré et du scénographe Diego Mendez Casariego, pour avoir su créer les atmosphères en rapport avec le livret et la partition. Pourquoi en effet, vouloir à tout prix utiliser toute la scène alors que d’autres possibilités se présentent ? Avec peu de choses : un immense encadrement retenant un miroir brisé en fond de scène ( reflet des émotions et des mouvements de l’âme, alors que des gouttes d’eau se transforment en larmes ), une méridienne noire et une longue table de jeu planteront le décor ; et, pour délimiter les espaces les jeux de lumières de Patrick Méeüs. Des noirs profonds aux éclairages plus blancs, halos qui entourent les chanteurs, ou des lumières plus feutrées tombant des lustres pour finir par des étoiles qui inondent la nuit, tout est bien pensé et n’éclaire que la scène désirée. Avec une direction des acteurs sobre et efficace, Louis Désiré nous démontre qu’avec un sens de l’esthétique, une grande connaissance du texte, des sentiments et surtout de la musique où tout est écrit, point n’est besoin d’un déploiement de détails pour créer l’émotion. Et de l’émotion, nous en avons eu ce soir ! Diego Mendez Casariego qui a réalisé la scénographie, a aussi créé les costumes. Restant dans la sobriété, il jouera sur les couleurs : le noir et le rouge, enfermant ainsi le spectateur dans le drame, l’oeil même ne pouvant se distraire. Cela ne nuit en rien à la beauté des robes de soirée des dames du choeur, restant dans le style de l’époque de La Dame aux camélias. Ici, pas de zingarellas ou de matadors, les hommes restant en frac. Seule note un peu typique, les étoles rouges et les éventails des dames. Les somptueuses robes rouges ou de velours noir de Violetta ainsi que celle de campagne au manteau peint ou son déshabillé, blancs tous deux, la mettent en valeur. De bon goût aussi sont les costumes d’Alfredo et Giorgio Germont. Une production placée sous le signe de l’élégance et de l’intelligence du propos. Un superbe plateau très homogène donnait un relief particulier à cette Traviata.
Si le mistral avait déserté les lieux le 3 août, lors de la première, il s’était invité ce soir, sans être trop virulent, mais tout de même… Diana Damrau qui devait chanter le rôle de Violetta, étant souffrante, avait été remplacée peu de temps avant la première, par Ermonela Jaho. Très habituée au rôle, la soprano albanaise retrouvait cette scène où elle avait obtenu un vif succès dans Madame Butterfly en juillet dernier. Dire qu’elle habite ce rôle est une évidence. Si elle a le physique fragile de violetta, aucune fragilité dans sa voix qu’elle maîtrise dans des pianissimi en demi-teinte, ou qu’elle laisse éclater dans des aigus puissants. Si comme dans Madama Butterfly on la sent un peu hésitante dans les premières mesures, elle se reprend très vite pour donner à Violetta des accents d’une grande justesse émotionnelle, scénique et vocale. Elle module sa voix avec aisance pour des phrasés d’une belle pureté musicale. Ici pas de suraigu rajouté ; les aigus écrits suffiront tant elle chante avec aisance et une grande compréhension musicale, jouant sur les nuances, les respirations et les notes tenues sur un long souffle. Avec la voix, l’intelligence du chant mais aussi du jeu, Hermonela Jaho est une Traviata de toute beauté jusque dans sa mort ou elle atteint le sublime. Quel beau tableau final, elle en blanc, se détachant sur un miroir noir où apparaissent les étoiles. Ahlima Mhamdi, dans un rôle assez court, est une Flora juste, vive et attractive dont la voix de mezzo-soprano passe sans forcer. Dans cette production, où les acteurs ont le physique du rôle, Francesco Meli est un Alfredo jeune et fougueux. C’est avec une voix claire et juste qu’il aborde ce rôle. Avec un chant facile et une grande sensibilité, il est crédible dans ses colères ou dans sa joie, laissant passer les impulsions de la jeunesse. Ses aigus assurés passent sans jamais forcer dans un vibrato homogène. Convaincant, il chante et joue avec aisance, formant avec Violetta un couple très assorti scéniquement et vocalement pour des duos sensibles qui amènent les larmes. Placido Domingo était très attendu dans ce Théâtre antique où il n’avait plus chanté depuis 1978, alors qu’il était Samson ( Samson et Dalila ). Applaudi avant d’avoir chanté une note, on peut se demander si c’est la carrière du chanteur plus que Giorgio Germont que l’on ovationne. Evidemment, l’on sait très bien que l’on n’entendra pas ici une véritable voix de baryton ; les graves manquent et les harmoniques de ce registre aussi, par contre aucun problème pour les notes aiguës. Toute la technique et l’aisance sont là, mais le phrasé qui ne s’exprime que lorsque l’on est tout à fait confortable fait ici souvent défaut. Placido Domingo a l’allure et l’âge du rôle, mais pourquoi l’aborde-t-il avec cette humilité hors de propos ? On peu regretter l’interprétation de Renato Bruson, un Giorgio Germont remarquable, mais passés ces regrets, force est de constater que Laurent Alvaro est un Barone Douphol au timbre rond et coloré de baryton qui s’oppose à Alfredo avec une certaine allure sur une image qui fait allusion au duel. On remarque aussi le Gastone de Christophe Berry dont la voix claire de ténor passe avec facilité grâce à une bonne projection. Nicolas Testé est un Dottore Grenvil de classe, comme toujours, il impose avec aisance sa voix graves aux résonances profondes. Un plateau homogène jusque dans les rôles secondaires est un critère de succès est c’est ici le cas. Aussi il est à noter la bonne prestation d’Anne-Marguerite Werster qui chante Annina, de Pierre Doyen qui est le Marchese d’Obigny, et de Rémy Mathieu qui est Giuseppe. Emmanuel Trenque, à qui revenait la coordination des choeurs, a fait ici un travail remarquable. Déjà très investi scéniquement, le choeur aux voix homogènes et aux attaques précises, chante dans un engagement vocal qui donnera beaucoup de relief aux scènes.
Le chef d’orchestre italien Daniele Rustioni était ce soir à la tête de l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine. Ce jeune chef prendra ses fonctions de chef permanent de l’Opéra de Lyon dès le 1er septembre 2017. Nous assistons depuis quelques années à l’ascension rapide de jeunes chefs d’orchestre. Alors, bien sûr, les façons de diriger et d’aborder les ouvrages changent. la jeune génération est pressée, nerveuse et si les chefs d’orchestre d’il y a quelques années étiraient le tempo, il n’est est rien à présent. Dirigeant sans partition, Daniele Rustioni saisit son orchestre et l’emporte plus qu’il ne le dirige, malgré ce, quelques passages pourraient être plus incisifs. De beaux moments sensibles seront à remarquer dans les préludes où les cordes, dans un bon tempo et avec des archets à la corde, feront résonner les sons avec pureté. A l’écoute des chanteurs, Daniele Rustioni accompagne le plateau avec efficacité et brio malgré un peu de raideur. Cette Traviata a comblé le public du Théâtre antique, qui a résonné de bravos pendant très longtemps. Enfin une mise en scène, assez dépouillée finalement, qui est le reflet de l’art à l’état pur.