Marseille, Opéra, saison 2016 / 2017
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Lawrence Foster
Piano Boris Berezovski
Piotr Ilitch Tchaïkovski: Concerto pour piano et orchestre No2, en sol majeur, op 44
Nikolaï Rimsky-Korsakov: “Shéhérazade”
Marseille, le 11 octobre 2016
Pour l’ouverture de la saison symphonique, le public était venu nombreux écouter un concert de musique russe. Piotr Ilitch Tchaïkovski et Nikolaï Rimsky-Korsakov étaient au programme, avec en soliste l’immense pianiste Boris Berezovski, russe lui aussi. Connu et reconnu, il est considéré comme le plus brillant représentant actuel de l’école russe du piano. Formé à cette école qui apprend la rigueur aussi bien que la musicalité, Boris Berezovski a été dirigé par des chefs prestigieux dans le monde entier. Souvent présent sur les scènes françaises, c’est la première fois qu’il vient à Marseille. Boris Berzovski aime la musique sous toutes ses formes. Le jazz l’intéresse aussi bien que le duo ou le trio. Tombé sous le charme de la musique de Karol Beffa, il n’hésite pas à lui commander un concerto qui sera composé en 2009. Ayant à son actif de nombreux enregistrements, un de ses DVD recevra un Diapason d’Or. Piotr Ilitch Tchaïkovski compose son concerto No2 dédié à Nikolaï Rubinstein entre 1879 et 1880, mais ce dernier mourra avant d’avoir pu le jouer. Il sera finalement interprété à New York en novembre 1881 par la pianiste Madeleine Schiller. Nettement moins joué que le concerto No1, il subira quelques remaniements qui ne seront pas pas du goût du compositeur. Composé en Trois mouvements, ce concerto est assez atypique dans sa conception. Un premier mouvement martial et légèrement pomposo, ne laisse pas supposer le deuxième qui va suivre où l’écriture de Tchaïkovski et sa musicalité toute russe ressortent alors que violon et violoncelle concertent avec le piano, donnant ainsi à ce mouvement une allure de triple concerto. Quelques harmonies d’Eugène Onéguine se font même entendre lors de longues phrases musicales. Bien qu’un peu surprenant, ce concerto nous réserve des moments de musique intense alors que placé au centre de la scène, faisant face au public, le pianiste nous prive du plaisir de voir ses doigts évoluer sur le clavier. Boris Berezovski n’est pas de ceux qui empoignent le piano pour le faire sonner à tout rompre, mais avec une technique sûre, où l’on pourrait en vain chercher une faille, c’est la netteté alliée à la délicatesse qui le font résonner. Et, même dans les passages les plus puissants ou les accords fortissimo, aucune violence, aucune rudesse ne se font ressentir sous ses doigts vigoureux. Mais pourquoi joue-t-il le piano fermé ? Le son se perd un peu dans les tutti d’orchestre car, inutile de le rappeler, le visuel tient une place importante dans la perception du son. Alors, cette position au sein de l’orchestre piano fermé ne donne pas vraiment le meilleur résultat. Mais quelle technique et quelle sûreté ! C’est aussi le toucher délicat et le jeu perlé du pianiste qui donnent cette apparence de facilité dans cette virtuosité à couper le souffle. Si la sensibilité du pianiste ressort dans de longues phrases, c’est surtout dans les dialogues sensibles avec le violon et le violoncelle du deuxième mouvement, joués dans une même esthétique musicale, que le mot charme prend toute sa signification. Brillantissime est un adjectif qui lui revient de droit pour un troisième mouvement endiablé jusqu’au galop final, joué sans effet de manches mais avec une vélocité qui paraît toute naturelle. Tout semble si facile à Boris Berezovski qu’il donne parfois l’impression d’être extérieur à tout ceci. Il n’en est certainement rien car la musique tout entière est contenue dans son jeu, accompagné par un orchestre solide dirigé avec beaucoup d’intelligence musicale par le Maestro Lawrence Foster, qui a su rendre à merveille l’ambiance langoureuse d’un dialogue avec le pianiste dans une continuité de phrases musicales aux accents slaves. Pour rester dans ces atmosphères, c’est un extrait des saisons du même compositeur que Boris Berezovski nous interprète en bis. Faisant preuve de romantisme et de sensibilité, le pianiste nous démontre une fois encore, qu’il est possible de jouer fortissimo sans dureté sur un piano, tout en conservant un toucher délicat, perlé et moelleux. La deuxième partie de ce concert était consacrée à Shéhérazade de Nikolaï Rimsky-Korsakov. Cette oeuvre, très souvent mise aux programmes dans les années 1970 se fait plus rare. C’est pourtant un bijou où la musique descriptive et sensuelle donne l’occasion aux solistes de l’orchestre de s’exprimer librement. Tout le monde connait l’histoire de Shéhérazade, qui ne voulant pas être exécutée au petit matin, tenait en haleine son sultan de mari en ne racontant jamais la fin de l’histoire le soir venu. Et ainsi, iront les mille et une nuits. Nikolaï Rimsky-Korsakov raconte quatre de ces histoires dans ce poème symphonique. Des thèmes, des instruments qui représentent les personnages, mais pas de façon systématique ; violon solo et harpe seront Shéhérazade et les cuivres le sultan, mais il y a aussi le Prince Kalender, la conteuse et les ambiances de la mer ou du vaisseau brisé, dans une écriture magistrale aux notes de l’orient. Au delà des épices et du mythe des harems, on retiendra particulièrement les nombreux solos des différents pupitres, avec un violon solo dont le jeu d’une grande finesse démontre encore une fois que le talent n’attend pas le nombre des années pour se manifester. Un archet à la corde mais en toute liberté, un vibrato intense mais toujours contrôlé, des respirations qui laissent vibrer les harmoniques contenues dans les sons et toujours cette compréhension juste de la phrase musicale. Les autres solistes, entraînés par cette musicalité, respireront avec le violon solo dans des sonorités aussi suaves que celles contenues dans ces contes persans : basson, clarinette, hautbois, flûte, harpe, mais aussi cuivres et timbales. Lawrence Foster, à la tête de son orchestre, feuilletait avec générosité ce livre d’images, nous donnant l’envie de tourner les pages pour connaître la suite. Evidemment, nous n’aurons pas mille et une nuits pour céder au charme de l’orient. Dans des tempi justes et des ralentis bien amenés, le Maestro nous emmène en voyage. Lawrence Foster réussit à doser les sonorités et à faire ressortir les ambiances de chaque conte, que ce soit le côté militaire du Prince Kalender ou la violence de la mer qui brise le vaisseau. Peut-être aimerions-nous un peu plus de sensualité ou de lié dans les enchaînements, mais ces contes ont été interprétés avec une telle vivacité et une telle justesse d’expression, que ce léger reproche nous paraît inapproprié. Le public conquis, s’est laissé emporter très loin par les sonorités généreuses…sur un tapis persan.