Marseille, Opéra Municipal, saison 2016 / 21017
“HAMLET”
Opéra en 5 actes et 7 tableaux, livret de Jules Barbier et Michel Carré, d’après le drame de William Shakespeare.
Musique Ambroise Thomas
Ophélie PATRIZIA CIOFI
Gertrude SYLVIE BRUNET-GRUPPOSO
Hamlet JEAN-FRANCOIS LAPOINTE
Claudius MARC BARRARD
Laërte REMY MATHIEU
Le Spectre PATRICK BOLLEIRE
Marcellus SAMY CAMPS
Horatio CHRISTOPHE GAY
Polonius JEAN-MARIE DELPAS
1er Fossoyeur ANTOINE GARCIN
2nd Fossoyeur FLORIAN CAFIERO
Double du spectre JULIEN DEGREMONT
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Lawrence Foster
Chef de Choeur Emmanuel Trenque
Mise en scène Vincent Boussard
Scénographie Vincent Lemaire
Costumes Katia Duflot
Lumières Guido Levi
Marseille, le 27 septembre 2016
Pour l’ouverture de la saison 2016 /2017, Maurice Xiberras, Directeur général de l’Opéra de Marseille, nous proposait Hamlet, d’Ambroise Thomas, dans la production présentée le 6 juin 2010 sur cette même scène, et qui avait déjà été très applaudie. Ambroise Thomas dont les oeuvres obtiennent un immense succès, est un compositeur très apprécié à son époque ; son opéra Mignon sera d’ailleurs l’un des opéras les plus joués jusque dans les années 1950. Directeur du conservatoire de Paris depuis 1871, il a une écriture orchestrale puissante et fournie qui laisse toutefois passer les voix sans que celles-ci aient à forcer et, si la partie vocale ne comprend pas véritablement d’airs de bravoure, dans le style italien, sauf peut-être pour Ophélie à l’acte IV, cet opéra est une succession de phrases musicales, aussi bien pour l’orchestre que pour les chanteurs, qui restent en mémoire. La notoriété d’Ambroise Thomas s’effaçant souvent devant le succès de ses contemporains tels que Giacomo Meyerbeer ou Charles Gounod, il n’est que justice de programmer cette oeuvre dont l’intensité musicale est soutenue durant trois heures. Bien qu’attaché aux traditions, le compositeur utilise les contrastes de sonorités, tout en mettant en valeur les solistes de chaque pupitre, flûte, cor, clarinette, hautbois trombone, n’hésitant pas à introduire le saxophone pour un long solo, un instrument peu utilisé à l’opéra. Cette écriture interactive entre plateau et fosse d’orchestre est une réussite totale. Aucun changement notable dans cette production depuis 2010. Les murs intérieurs du château d’Elseneur sont toujours revêtus d’une sorte d’aluminium froissé qui donne une dimension austère et glacée, et un grand portrait du feu roi posé par terre nous plonge immédiatement dans le sujet. Un large miroir qui reflète les personnages apportera un peu de profondeur. Pour animer les scènes : les lumières de Guido Levi aux teintes atténuées. Le tandem Vincent Boussard/ Vincent Lemaire, le premier pour la mise en scène, le second pour la scénographie nous avait déjà présenté 2006 un opéra de Gian carlo Menotti d’anthologie : Maria Golovin. Ici encore ce partenariat fonctionne à merveille. Peu d’action, mais une direction d’acteurs millimétrée et efficace, tout en retenue jusque dans la scène de la folie et la mort d’Ophélie qui ne se noie plus dans un lac mais dans une baignoire. Etrangement, rien de choquant ou de ridicule tant les éclairages et le jeu d’Ophélie sont d’une grande sobriété. Un autre joli tableau avec le cercueil de la jeune fille, posé au centre de la scène, éclairé par une lumière blanche tel un clair de lune qui fait argenter les feuilles éparpillées des livres souvent lus. Les costumes de Katia Dufflot, sobres et de bon goût, mélangent les manteaux redingote noirs et les chapeaux haut de forme des hommes, aux robes de belles coupes aux couleurs douces, plus début XXe, dans une agréable harmonie. Seule la robe longue de velours rouge de Gertrude tranche sur le blanc pur des robes fluides d’Ophélie. De bonne coupe aussi le pantalon de cuir noir d’Hamlet, assorti à son long manteau.
Patrizia Ciofi qui était déjà présente pour les débuts de cette production en 2010, dans une prise de rôle, est Ophélie. En six ans la voix change un peu bien sûr, mais pas le talent et la musicalité. Le physique a gardé cette allure juvénile et la voix sa fraîcheur. Un peu plus d’épaisseur peut-être, mais qui ne nuit en rien aux aigus haut perchés, aux pianissimi extrêmes dans un souffle, et au legato sensible. Avec quelle délicatesse Patrizia Ciofi incarne cette Ophélie fragile où amour rime avec désespoir ! La soprano italienne, très aimée du public marseillais est touchante, émouvante, elle est cette jeune fille perdue dans son rêve évanoui qui vocalise avec légèreté dans des pianissimi célestes. Avec des notes suspendues, elle joue avec retenue et sobriété, nous faisant aimer cette Ophélie si fragile mais si sûre dans son chant. Ce qui séduit d’emblée chez cette artiste est sans doute la sincérité qui transparaît dans chaque prise de note. A ses côtés, Sylvie Brunet-Grupposo est Gertrude, cette reine rongée par la peur plus que par le remords, dont la voix solide de mezzo-soprano est sollicitée dans une tessiture très large. Si nous l’avions appréciée dans le rôle de Geneviève à Aix-en-Provence en juillet dernier (Pelléas et Mélisande), nous trouvons ici sa voix trop incisive avec un timbre manquant de rondeur. Certes, la sûreté de ses aigus et la puissance de sa voix seront très applaudis, mais sans doute aurions-nous préféré plus de velouté et un jeu plus affirmé. Aux côtés d’Ophélie, Jean-François Lapointe est un Hamlet de premier plan qui rend ce couple tout à fait crédible dans de très beaux duos. Aussi juste vocalement que scéniquement, il laisse ressortir ses doutes jusque dans les inflexions de sa voix qu’il sait assombrir ou rendre plus claire dans une diction toujours parfaite. Très à l’aise, il module sa voix dans une couleur homogène et un timbre profond malgré les changements de tessitures. Jean-François Lapointe est un Hamlet convaincant dont l’allure et la prestance donnent une réelle dimension au rôle. La chanson du vin, qu’il chante, seul devant le rideau baissé, permet d’apprécier le velouté du médium qui ne cède en rien aux aigus assurés sur une belle longueur de souffle. Phrasé et musicalité sont des qualités que l’on retient chez ce baryton québécois qui marquera ce rôle.
Marc Barrard, que nous avions apprécié dans Cosi fan tutte (Don Alfonso) nous paraît ici moins convaincant, sans doute manque-t-il de graves et de prestance, mais la voix s’affirme au fil des actes lui permettant plus d’aisance dans le jeu. Sans être vraiment remarquable, mais avec le soin qu’il apporte à chacune de ses prestations, Marc Barrard nous présente ici un Claudius investi qui laisse passer ses doute et ses remords tardifs. En cette soirée de première on pouvait ressentir une certaine nervosité chez les artistes en tout début de spectacle et Rémy Mathieu qui interprétait le rôle de Laërte n’allait pas échapper à cette atmosphère électrique avec des aigus un rien tendus et un vibrato un peu serré, mais prenant de l’assurance on le sent tout de suite plus à l’aise donnant ainsi de l’épaisseur à sa voix percutante de ténor, dans des phrasés plus mélodieux. Antoine Garcin (basse) et Florian Cafiero (ténor) les deux Fossoyeurs, offrent deux airs d’une belle tenue vocale, faisant avec beaucoup de naturel l’éloge de la bouteille. C’est Patrick Bolleire qui est, comme en 2010, ce Spectre qui fait résonner sa voix sépulcrale de basse alors que son double (Julien Degremont) descend à l’aplomb du mur dans un bel effet d’équilibriste. Samy Camps, Christophe Gay et Jean-Marie Delpas, respectivement Marcellus, Horatio et Polonius seront remarqués malgré des rôles assez courts. Emmanuel Trenque avait fait un travail remarquable en amont insufflant au choeur un investissement de chacun. Précision, phrasé, musicalité et belle rigueur rythmique ont fait de leurs interventions des moments de pur plaisir musical. Mais alors, pourquoi couper quelques pages ? On le sait, à Marseille les passages chantés par le choeur sont toujours très appréciés par le public, surtout lorsqu’ils sont chantés avec cette qualité. Après avoir voyagé en Allemagne cet été pour des concerts plus que brillants, chef et orchestre se retrouvaient pour le premier opéra de cette saison. Lawrence Foster aime la musique française, ce n’est pas un secret, et il la dirige très bien ; respectant le style, les respirations et les tempi, il fait sonner orchestre et solistes dans des phrasés d’une rare musicalité. Malgré une partie orchestrale assez fournie, le Maestro ne met jamais les voix en danger en les couvrant, et les pianissimi d’Ophélie ou les demi teintes d’un Hamlet torturé passent dans un souffle. Harpes, cuivres, cordes, les couleurs changent selon l’écriture, la musique reste, sensible, rythmée ou sonore. Lawrence Foster tient, de sa baguette énergique, fosse et plateau dans une compréhension totale de l’oeuvre. Des applaudissements longs, longs, témoignent de l’enthousiasme et du plaisir d’une salle qui renoue avec la musique française du XIXe siècle. Une ouverture de saison très réussie. Toutes les représentations d’Hamlet sont dédiées au baryton Bernard Imbert, disparu le 2 juillet dernier et qui était prévu dans cette distribution. Photo Christian Dresse