Grand Théâtre, Aix-en-Provence, saison 2017
Bamberger Symphoniker
Direction musicale Jakub Hrusa
Piano Nelson Freire
Richard Wagner: Ouverture de “Lohengrin”
Ludwig van Beethoven: Concerto pour piano No 4 en sol majeur, op.58
Johannes Brahms: Symphonie No 4 en mi mineur, op.98
Aix-en-Provence, le 12 avril 2017
Le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence en est déjà à sa cinquième édition, et toujours avec le même succès. Il est inutile de préciser que voir des salles pleines pour 22 concerts en seulement 14 jours remplit de joie le coeur des mélomanes que nous sommes. Non, le public ne boude pas la musique en France, non, les préoccupations actuelles ne le détournent pas des moments de grâce que procurent les concerts, mais le public, exigeant certes, a besoin d’être sollicité, et la désertion des spectateurs, annoncée depuis plusieurs années, serait plutôt due à une programmation épisodique, qu’à des offres à foison. La preuve en est faite avec ce festival. Sûr de la qualité des programmes, l’amoureux de musique n’hésite pas à venir écouter plusieurs concerts par jour car, n’en doutons pas, un amour fusionnel existe entre le public, la musique et les interprètes. Le concert offert en cette soirée du 12 avril au Grand Théâtre allait permettre de découvrir, à Aix-en-Provence, un magnifique orchestre de renommée internationale : le Bamberger Symphoniker. Il est intéressant de rappeler ici l’histoire peu commune de cet orchestre de Bavière qui remonte à 1946, année de sa de fondation. En effet, lors du soulèvement pragois de 1945, les musiciens membres de l’Orchestre Philharmonique allemand de Prague quittent la ville pour la Bavière et fondent avec leur chef Joseph Kleiberth le ” Bamberg Tonkünstlerorchester ” qui deviendra plus tard le ” Bamberger Symphoniker “, ironie de l’histoire, c’est un chef tchèque, Jakub Hrusa qui, succédant à Jonathan Nott, est maintenant à la tête de cette formation depuis 2016. Un programme de musique allemande nous était proposé ce soir avec pour commencer l’ouverture de Lohengrin de Richard Wagner, qui allait mettre à l’honneur la couleur et l’intensité du son des cordes dans le piano. Il est toujours difficile de commencer un concert par cette oeuvre tant elle demande de sérénité et de retenue dans un pianissimo joué sur un crin de l’archet dès les premières mesures. Ce prélude de l’acte I de Lohengrin est un moment d’extase qui élève l’âme tant la sonorité des violons est éthérée. La petite harmonie entre dans ces sonorités pour un lent crescendo qui mène à une apothéose sonore où les cuivres peuvent s’exprimer en puissance, sans dureté, mais avec un son ample et profond. Le moelleux des cordes, la rondeur des cuivres et la clarté de la petite harmonie font ressortir avec sensibilité et naturel la poésie contenue dans ce morceau de musique à nul autre pareil. Jakub Hrusa se sert des possibilités extraordinaires de ses musiciens pour créer l’intensité musicale tout en faisant ressortir les riches harmonies propres au compositeur. Sa direction élégante mais un peu large donne cette impression de lenteur dans un tempo pourtant juste, enlevant par moments au phrasé la tension contenue dans les sons étirés. Mais aucune brusquerie dans le crescendo immense où éclatent les cuivres avec ces sons qui ont fait la renommée de l’orchestre. Un moment suspendu de musique pure. Le concerto No 4 de Beethoven est joué pour la première fois à titre privé en 1807. Ce concerto en trois mouvements donne la parole à l’orchestre d’une façon presque symphonique avec des accords marqués qui ouvrent le dialogue avec le piano. On ne présente plus Nelson Freire tant chacune de ses apparitions est attendue et appréciée. Considéré dès l’âge de cinq ans comme un enfant prodige, sa longue carrière confirmera ses dispositions. Des études à Vienne lui donnent cette technique solide qui lui procure agilité et jeu délié, grâce à laquelle aussi il peut laisser s’exprimer, dans les mouvements lents, un caractère tourné vers la poésie. Sa longue recherche des sonorités va lui apporter ce toucher délicat qu’il garde dans la vélocité et les trilles affirmés. – La vélocité doit être imperceptible – dit-il, et c’est ce qui lui donne cette aisance et ce raffinement dans un jeu perlé et clair. Si le rondo est vif et joyeux avec des moments de force dans le dialogue avec l’orchestre, c’est incontestablement dans l’andante con moto du deuxième mouvement que le pianiste nous livre la profondeur de sa musicalité où les respirations laissent la musique s’exprimer librement, avec plus de phrasé et de cohésion avec l’orchestre. Nelson Freire est sans conteste le pianiste des phrases poétiques. S’il se laisse quelques fois emporter, dans la rapidité du texte, par sa technique éblouissante, laissant les doigts couler sans trop de respirations, il est plus en phase avec l’orchestre dans les mouvements lents. Et c’est encore dans orphée et Eurydice de Gluck, donné en bis, que l’on retrouve un pianiste inspiré. Cette mort d’Orphée est un moment de musique où tristesse et sensibilité montent vers le sublime. La symphonie No 4, en quatre mouvements, de Johannes Brahms est créée avec succès en 1885 à Meiningen. Il était intéressant de voir comment, prenant la suite de Jonathan Nott, Jakub Hrusa allait faire sonner l’orchestre. Cette dernière symphonie de Brahms, comme les autres d’ailleurs, demande une grande continuité dans l’intensité malgré les changements d’atmosphères, que ce soit dans la nostalgie, la force ou la gaîté du troisième mouvement. Le son Brahms est particulier et doit se reconnaître du début à la fin de l’oeuvre sans aucune rupture et sans dureté. Nous retrouvons le son plein, ample, avec un quatuor investi dans un grand déploiement d’archets ou des pizzicati sonores. Cet orchestre réceptif suit le chef qui cherche la lumière dans les phrases lyriques du deuxième mouvement sans la trouver toujours, mais de beaux moments nous sont proposés quand la fougue de ce jeune chef l’entraîne vers des forte passionnés. La vivacité et l’impétuosité de sa direction se retrouvent dans l’allegro giocoso du troisième mouvement avec une netteté du détaché et une grande précision dans les attaques. Chaque pupitre de l’harmonie fait ressortir les phrases musicales dans des solos remarqué. Soli de cors superbes, choral de cuivres au son ample, clarinette nostalgique ou flûte apaisée ; des moments magnifiques. La direction est inégale avec un chef qui semble parfois chercher son chemin, mais quel plaisir lorsqu’il rencontre Brahms ! Si nous avons été quelquefois surpris par la direction de Jakub Hrusa, nous avons été, comme le public, enthousiasmés par la rencontre avec cet orchestre dont le talent individuel et l’investissement collectif sont remarquable. Soutenus par un timbalier irréprochable de rigueur et de plénitude de son, les musiciens du Bamberger Symphoniker, longuement ovationnés, nous ont proposé une soirée de musique de haute tenue. Photo Caroline Doutre