Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2017
Orchestra Filarmonica del Teatro Regio di Torino
Direction musicale Gianandrea Noseda
Violon Alexandra Conunova
Piotr Ilitch Tchaïkovski: Concerto pour violon en ré majeur, op.35
Luigi Dallapiccola: Fragments symphoniques du ballet Marsia :I Danza Magica, II Ostinato, III Sostenuto, ma deciso -Danza di Apollo, IV Ultima Danza di Marsia, V La Morte di Marsia
Modeste Moussorgski : Tableaux d’une exposition (orchestration de Maurice Ravel) I Gnomus, II Le vieux château, III Les Tuileries, IV Bydlo, V Ballet des poussins dans leur coque, VI Samuel Goldenberg et Schmuyle, VII Le Marché de Limoges, VIII Catacombe, IX Cum mortuis in lingua mortua, X la Cabane sur des pattes de poule, XI La Grande porte de Kiev
Aix-en-Provence le 17 avril 2017
Le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence donne, à un public de plus en plus nombreux, la possibilité de découvrir, retrouver, écouter des artistes et des orchestres toujours de haut niveau, mais souvent difficiles d’accès. Là ils viennent à vous et semblent heureux de participer et de vous faire partager ces moments privilégiés. C’est donc toujours avec bonheur que l’on se rend à ces concerts. Gianandrea Noseda, déjà connu du fidèle public du Festival de Pâques pour avoir dirigé en 2015 Shéherazade de Rimsky-Korsakov, allait, toujours à la tête de La Filarmonica Teatro Regio Torino, diriger, inspirer et animer cette soirée musicale. Cet orchestre, relativement jeune puisque fondé en 2003, voyage beaucoup et a aussi comme particularité de vouloir faire connaître des oeuvres plus contemporaines. C’est sans doute pour cette raison que le compositeur Luigi Dallapiccola (1904-1975) prendra place aux côtés de Piotr Ilitch Tchaïkovski et Modeste Moussorgski. Alexandra Conunova, lauréate en 2012 du concours international de violon Joseph Joachim de Hanovre, allait interpréter le célébrissime concerto de Tchaïkovski. Alexandra Conunova déjà applaudie sur cette scène en 2015, n’est donc pas une inconnue pour les auditeurs de ce festival. C’est dans un jeu très personnel, quelquefois musclé mais toujours avec charme, que la jeune violoniste moldave fait sonner son violon Santo-Serafino venise 1735. Aussi belle à regarder qu’agréable à écouter, on suit ses arabesques ou ses phrases musicales jouées dans un vibrato intense. Cadence limpide, harmoniques sonores, fermeté de main gauche et déploiement d’archet à la corde font montre d’une technique implacable. Si le troisième mouvement joué dans un tempo très vif est époustouflant avec un détaché solide et sonore, c’est dans l’Andante joué sans lenteur, qu’Alexandra Conunova fait ressortir sa sensibilité avec de légers glissandi ou de subtiles substitutions de doigts dans un joli phrasé. Si l’on peut regretter cette fougue qui l’amène parfois à une vélocité pas toujours bien contrôlée, nous apprécions les nombreuses qualités violonistiques et musicales de cette jeune artiste, démontrées dans ce concerto d’une grande difficulté et suivie avec beaucoup de précision et de justesse par un chef d’orchestre très à l’écoute de la soliste. Très applaudie, Alexandra Conunova nous donnera en bis un moment de musique pure avec la Sarabande de la partita No2 de Jean Sébastien Bach. Nous retrouvons la pureté du son appréciée déjà dans le concerto, la fermeté de main droite dans des changements d’archet pourtant souples, pour une interprétation très baroque et personnelle, qui donne à ce morceau une dimension confidentielle. La fougue du Tchaïkovski cède ici la place à la sérénité et au calme intérieur. Un grand bravo à cette violoniste aux multiples facettes. Luigi Dallapicola allait nous surprendre avec ses Fragments symphoniques du ballet Marsia. Le compositeur italien a subi les influences d’Arnold Schoenberg et des compositeurs d’une certaine école qui ira jusqu’à la musique sérielle. S’il est attiré par les découvertes musicales et le dodécaphoniques, le compositeur n’oubliera pas ses premiers émois musicaux dus aux opéras de Richard Wagner. Profondément humaniste, le compositeur qui a aussi été marqué par la domination autrichienne sera ce que l’on peut appeler un compositeur engagé. Nous préparant à écouter Fragments symphoniques du ballet Marsia, nous attendions une musique dont le parti pris serait une musique atonale, tendant vers la musique sérielle. Il n’en est rien. Un engagement descriptif, des thèmes enchevêtrés avec quelques lignes déstructurées ; à peine la force et les accents dans l’harmonie font-ils penser à Chostakovitch. Cette musique convient à Gianandrea Noseda, où puissance et piani s’affrontent dans un discours intéressant. Précision des attaques et des archets, changements d’atmosphères et de couleurs dans des sonorités larges et pleines, puis des passages piano et mystérieux qui évoquent Benjamin Britten, tout ceci dirigé avec rigueur. Cette oeuvre peu jouée, appréciée d’emblée par le public a été une heureuse surprise qui a contribué à mettre l’orchestre en valeur. L’oeuvre, “Tableaux d’une exposition”, magistrale et par moments monumentale (La grande porte de Kiev) devait donner la possibilité à La Filarmonica teatro Regio Torino d’explorer les couleurs de la Russie chère à Modeste Moussorgski. Composée en six semaines, après le décès de son ami le peintre et architecte Victor Hartmann, cette pièce en dix tableaux est une évocation de lieux admirés par le peintre lors de voyages, de contes ou d’atmosphères. Le compositeur se sert de divers instruments pour imager cette balade à travers l’exposition des différents dessins. Petite trompette ou trompette en ré, saxophone, harpes, cloches et tuba. Modeste Moussorgski trouve le ton juste et les couleurs qui conviennent pour cette évocation picturale. Intermèdes promenades aux diverses tonalités, des harmonies étranges pourGnomus, au son mélancolique du saxophone pour Le vieux château, ou aux espiègleries des jeux d’enfants aux Tuileries, les atmosphères changent d’un dessin à l’autre nous faisant sentir, par le tuba, le poids lourd du boeuf tirant le charriot polonais. L’orchestration de Maurice Ravel suit le cheminement sans trahir le compositeur par une trop grande transformation orchestrale ; il rend à merveille le côté comique et la désorganisation des poussins dans leur coque pour passer au mélange des sonorités avec le discours de Samuel Goldenberg et Schmuyle aux personnalités différentes, puis au papotage sur Le marché de Limoges, qui fait place aux accords d’une dimension sépulcrale qui nous plongent dans les profondeurs des Catacombes. Après une promenade où le compositeur dialogue avec son ami défunt, La Cabane sur des pattes de poule nous donne une version du conte russe de la célèbre ogresse Baba Yaga dans un climat de tension. La Grande porte de Kiev, offerte par le tsar Alexandre II, termine en apothéose avec cloches tubulaires et gongs. Nous n’avons pas été séduits, dans cette oeuvre, par la proposition faite par le chef d’orchestre italien. trop fort, trop dur trop d’animation dans la gestuelle. Il semblerait que Gianandrea Noseda se soit trompé d’exposition. Sa direction nerveuse et verticale enlève le côté voluptueux ou romantique spécifique à la musique russe. Du volume, de l’éclat, certes, mais dans l’ampleur avec toujours une pointe de lumière. Longuement ovationné, l’orchestre est remarqué surtout par la qualité du quatuor dont l’investissement certain domine l’ensemble de l’orchestre. Pour terminer sur un moment de musique plus apaisée, La Filarmonica Teatro Regio Torino, nous proposait l’Intermezzo de l’acte III de l’opéra de Giacomo Puccini Manon Lescaut avec un beau soli violoncelle, alto, violon. Cette page au lyrisme assuré, démontre encore une fois la belle tenue de l’orchestre et les belles qualités de son quatuor. Si le chef d’orchestre a su moduler son tempérament souvent excessif pour aller vers plus de romantisme, il nous semble encore un peu trop marqué dans sa direction pour ce moment de musique pure. Une soirée qui a soulevé l’enthousiasme du public qui se retrouvera très nombreux nous en sommes sûrs pour le prochain concert. Photo Caroline Doutre