Marseille, opéra municipal, saison 2016/2017
“I CAPULETI E I MONTECCHI”
Opéra en 2 actes, livret de Felice Romani.
Musique de Vincenzo Bellini
Giulietta PATRIZIA CIOFI
Romeo KARINE DESHAYES
Tebaldo JULIEN DRAN
Capellio NICOLAS COURJAL
Lorenzo ANTOINE GARCIN
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Fabrizio Maria Carminati
Chef de Choeur Emmanuel Trenque
Mise en scène Nadine Duffaut
Scénographie Emmanuelle Favre
Costumes Katia Duflot
Lumières Philippe Grosperrin
Maître d’armes Véronique Buisson
Marseille, le 29 mars 2017
L’histoire des amants de Vérone sous la forme conçue par Vincenzo Bellini : I Capuleti e I Montecchi, était programmée à l’Opéra de Marseille en cette soirée du 29 mars. La genèse de cet opéra créé le 11 mars 1830 à La Fenice de Venise est assez complexe. Pressenti pour écrire un opéra devant être joué pendant la période du carnaval, Vincenzo Bellini ne disposera que de six semaines. Cette tragédie lyrique en 2 actes dont le sujet a inspiré divers auteurs et compositeurs tire en fait ses sources d’une querelle entre les Guelfes, partisans papistes, et les Gibelins, défenseurs de l’empereur germanique. Plus que pour la pièce Romeo et Juliette de William Shakespeare, l’intrigue déjà évoquée par Felice Romani dans le livret écrit pour l’opéra de Nicola Vaccai quelques temps auparavant, prend une ampleur politique dans un temps où l’Italie est encore sous domination autrichienne. Pris par le temps, Bellini se servira d’éléments puisés dans son opéra Adelson e Salvini, mais surtout dans Zaire qui vient d’être sifflé pour sa création à Parme. Bien que mort très jeune, Vincenzo Bellini écrira quelques uns des plus beaux chefs d’oeuvre du bel canto. Remarquable mélodiste, il laisse une grande liberté d’expression aux chanteurs tout en offrant de belles phrases à l’orchestre. Plus que dans les acrobaties vocales, c’est dans la musicalité et l’expression des sentiments que le compositeur construit son oeuvre. Si nous nous laissons emporter par le chant de grands artistes interprétant des opéras en version concert, nous goûtons ici le plaisir parfait d’une oeuvre dans sa représentation scénique. Bien qu’assez minimaliste, la mise en scène de Nadine Duffaut ne manque pas d’intérêt : une chaise renaissance à haut dossier stylisée pour tout mobilier, dans une action simplement rythmée par des duels ou escarmouches à l’épée très bien orchestrés par le Maître d’armes Véronique Bouisson. Un tulle sépare l’intransigeance des Capuleti de l’action savamment occultée par des jeux de lumière. L’interprétation souvent intériorisée des chanteurs soutient avec acuité l’attention de l’auditeur qui se prend à rêver une fin moins dramatique pour ce jeune couple romantique. Dans cet opéra où le choeur est réservé aux voix d’hommes, le bon emploi des chanteurs nous plonge dans un tableaux de Rembrandt par ses éclairages sombres aux faisceaux lumineux rares mais bien pensés par Philippe Grosperrin. Quelques éclairages directs sur les personnages donnent du relief tout en entretenant le mystère. De beaux effets aussi font ressortir certains éléments telles les marches des escaliers laissées dans l’ombre. Les lumières intelligentes épousent la scénographie d’Emmanuelle Favre qui utilise de grands panneaux mobiles aux couleurs qui vont du brun au rouge suivant l’intensité de l’action. Dans cette production déjà présentée à l’Opéra d’Avignon, les costumes de Katia Dufflot participent à la belle réalisation scénique. Seyantes et bien coupées dans de belles étoffes, les robes de Giulietta apportant charme et légèreté au personnage donnent une certaine fluidité à ses mouvements et les costumes masculins ajustés, aux hautes bottes, laissent les bretteurs évoluer avec aisance. Malgré une certaine uniformité, les différences de familles et de situations se font sentir tout en maintenant l’atmosphère évoquée par les lumières. Une mise en scène tout en finesse et en retenue où les sentiments en rapport avec la musique délicate de Bellini sont mis en exergue, telle cette évocation finale de Romeo et Guiulietta montant lentement l’escalier vers un doux paradis. Le choix des chanteurs sur qui le succès de cette oeuvre repose est primordial. Nous avons ici un couple de rêve. Aucune fausse note dans le choix des voix, le physique et l’engagement scénique. Patrizia Ciofi tient sans doute ici son meilleur rôle. Peut-on imaginer plus tendre Giulietta, plus talentueuse, plus touchante aussi ? Au mieux de sa forme, au sommet de son art elle n’incarne pas Giulietta, elle est Giulietta. Dans ses suppliques, son désespoir, une force perce sous sa fragilité. D’une grande crédibilité scénique, son talent vocal n’est plus à démontrer. Chaque note ou chaque attaque qui paraissent si naturelles sont pensées avant d’être chantées tant elles semblent venir du fond de l’âme. La romance Oh ! Quante volte est interprétée avec sensibilité dans un beau legato et de légers portamenti. Récitatifs et duos sont chantés avec délicatesse dans un style épuré où la ligne musicale dialogue avec le cor solo. A la légèreté de la voix répond la force, l’intensité des aigus éclatants et un grand soutien du souffle jusque dans des pianissimi extrêmes jamais détimbrés. Cette incarnation de Giulietta reste un moment de grâce absolu. Karine Deshayes avait été choisie avec bonheur pour être Romeo. Nommée artiste lyrique de l’année pour la seconde fois aux Victoires de la musique en 2016, cette mezzo-soprano fait une carrière fulgurante. Déjà invitée à l’Opéra de Marseille en 2013 pour chanter Isolettta (La Straniera) aux côtés de patrizia Ciofi, c’est avec un immense plaisir que nous la retrouvons dans ce rôle de premier plan. Il est toujours délicat d’interpréter un rôle travesti sans tomber dans la caricature, mais Karine Deshayes a du style aussi bien vocalement que scéniquement, et nous retrouvons dans son interprétation la clarté du langage de Bellini. De la mesure mais de l’éclat, de la passion mais en retenue, mais aussi la fougue d’un vaillant jeune homme amoureux. C’est avec une voix naturelle qu’elle maîtrise ce rôle, mêlant aigus rayonnants et changements de nuances dans un même souffle. Sa voix aux graves timbrés et sonores passent sur le choeur et l’orchestre sans forcer, et c’est avec une suave homogénéité de timbre que la mezzo-soprano française conduit sa ligne de chant. Ses duos, tendres avec Giulietta, ou plus virils avec Tebaldo, rythment les scènes et l’on peut apprécier toute la musicalité contenue dans ce chant lors d’un échange avec la clarinette dans des sonorités veloutées. Quelle maîtrise de la voix dans les aigus amples d’une grande clarté ou pour un dernier souffle rempli d’émotion. Une prestation sans faute pour ce couple mythique uni dans la musique aussi bien que dans l’amour. La politique du Directeur général de l’Opéra de Marseille Maurice Xiberras, en plus de choisir avec le plus grand soin et très souvent avec un grand bonheur ses interprètes, est de suivre au fil des ans et des rôles de jeunes chanteurs, et nous pouvons dire que le pari est réussi avec Julien Dran qui donne toute la mesure d’un talent plus que prometteur. Apprécié depuis plusieurs années dans des rôles plus ou moins courts, il éclate ici dans Tebaaldo. Scéniquement à l’aise, sa haute stature lui donne présence et vaillance dans ses évolutions mais aussi dans l’émission de la voix. Quel beau travail pour arriver à ce degré de maîtrise dès la cavatina et la cabaletta qui l’imposent immédiatement. Diction, projection, phrasé, aigus faciles et clairs, vocalises à l’aise, mais aussi compréhension d’un rôle qui laisse percevoir le désespoir dans une voix aux graves timbrés. C’est une révélation pour ce jeune chanteur qui ne trahit en rien la confiance mise en lui par Maurice Xiberras, et que nous attendons avec impatience d’applaudir dans Gérald (Lakmé) dès le mois prochain. Nicolas Courjal, très apprécié du public marseillais était ici Capellio, ce père intransigeant par qui le malheur arrivera. Avec une voix solide et sonore de basse, il impose ce rôle sans trop de nuance. Si le timbre est agréable et la couleur chaleureuse, les mêmes imperfections, et là plus qu’ailleurs, nous chagrinent. Nous aimerions plus de finesse dans l’émission qui est souvent monolithique. Pourtant, quel besoin de forcer ? La voix est naturellement puissante, mais Bellini demanderait plus de style, plus de respirations. Nicolas Courjal est un père qui impose sa loi et sans doute n’y a-t-il rien à redire. Le rôle de Lorenzo est encore écrit pour une basse, et c’est Antoine Garcin qui est ce docteur proche de Giulietta. Si la voix paraît un peu fatiguée par moments elle a gardé sa vaillance, et le sens des respirations, du style récitatif et de l’évolution scénique du chanteur donnent rythme et crédibilité au personnage. Dans un quintette a cappella très équilibré, la musicalité de chaque interprète ressort dans une justesse parfaite. Dans cet ouvrage où les hommes sont mis à l’honneur, le choeur est réservé pour ces voix. Bellini aurait-il écrit un opéra machiste ? Seul un court passage de choeur, coupé ici, laissait entendre des voix de femmes en coulisses. Ce choeur, masculin donc, très bien préparé par Emmanuel Trenque, donne sa voix et son impétuosité dans des interventions musclées d’un bel ensemble plein de vaillance ; staccato précis et sonore et rythme aux lamentations, démontrent, dans cette mise en place scénique et vocale de l’adaptation du choeur aux différents styles, après une prestation très remarquée dans Boris Godounov le mois dernier. Pour diriger cet ouvrage, Maurice Xiberras avait fait appel à un spécialiste du bel canto : Fabrizio Maria Carminati, un cast très réussi. Le chef italien retrouve ici un orchestre qu’il connaît bien et qu’il apprécie. Avec une facilité d’adaptation toute professionnelle, les musiciens répondent à ses demandes avec énergie dans les passages guerriers avec sonnerie de trompettes, ou avec la délicatesse qui convient pour accompagner Giulietta. L’intelligence de cette direction tient au fait que le Maestro sait donner et tenir une impulsion assez dynamique pour ne jamais céder à l’ennui qui pourrait venir avec ces longs duos ou récitatifs. Le rythme soutenu, les changements de tempi nombreux faits sans ruptures, donnent l’élégance qui anime cette oeuvre. Les nuances subtiles et le grand respect des chanteurs permettent aux voix de passer même dans les plus délicats pianissimi. Les couleurs des divers instruments solistes, cor, clarinette, violoncelle ou harpe, se fondent avec celles des voix qu’ils accompagnent. Ce savant dosage donne à tout l’ouvrage cette profondeur et cette légèreté contenues dans la musique de Bellini. Un grand bravo au Maestro et à l’orchestre pour l’intelligence de cette interprétation. Un spectacle réussi, longuement ovationné alors que chanteurs, musiciens et mise en scène se fondent dans un grand respect de l’oeuvre et pourquoi pas… du public. Photo Christian Dresse