Opéra Municipal de Marseille: “Luisa Miller”

Marseille, Opéra Municipal, saison 2020/2021
“LUISA MILLER”
Opéra en 3 actes, livret de Salvatore Cammarano, d’après la pièce de Schiller Kabale und Liebe
Musique Giuseppe Verdi
Luisa Miller ZUZANA MARKOVA
Frederica SOPHIE KOCH
Laura LAURENCE JANNOT
Rodolfo STEFANO SECCO
Miller GEZIM MYSHKETA
Le Comte Walter NICOLAS COURJAL
Wurm MARC BARRARD
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Paolo Arrivabeni
Chef du Chœur Emmanuel Trenque
Mise en scène louis Désirée
Décors et costumes Diego Mendez Casariego
Lumières Patrick Méeüs
Marseille, le 28 mars 2021, enregistré pour France Télévision
L’Opéra de Marseille et son directeur général Maurice Xiberras ont réussi à maintenir la programmation de Luisa Miller en version scénique malgré une pandémie qui semble vouloir perdurer ; sans public évidemment avec simplement quelques journalistes pour promouvoir cette initiative. L’opéra filmé par France 3 Méditerranée pour France Télévision sera en effet visible en mai 2021. Une bouffée d’oxygène pour les artistes, mais aussi un tour de force avec le respect des consignes sanitaires. Peu de monde donc sur la scène et dans la fosse d’orchestre. Les artistes du Chœur chantent du premier balcon de la salle et dans la fosse, l’orchestre passe d’environ cinquante musiciens à vingt tout au plus. Si pour les deux ouvrages précédents joués dans les mêmes conditions “La Bohème” et “Tosca” des réductions d’orchestre étaient déjà éditées, il n’en était pas de même pour “Luisa Miller”. Néstor Bayona réussit cette gageure. L’ancien assistant chef d’orchestre de l’Opéra de Marseille, rappelé par Maurice Xiberras reprend toute l’orchestration de Giuseppe Verdi et réduit le nombre des musiciens, afin que chacun dispose de l’espace réglementaire exigé, tout en conservant une force sonore et une cohérence musicale dans le respect de l’œuvre du compositeur. Réduisant le quatuor, réduisant les instruments de l’harmonie qui se retrouvent à un par pupitre, Néstor Bayona crée un équilibre sonore sans défigurer la partie orchestrale, conservant les solos d’instruments et les inflexions musicales, pour un soutien et une grande cohésion dans les accompagnements. Paolo Arrivabeni qui connaît bien l’orchestre et la qualité de chaque instrumentiste a su tirer le meilleur de cette orchestration dans un grand respect de la musique de Verdi. Une réussite musicale et théâtrale. Louis Désiré avait déjà prévu la mise en scène qui n’a subi que peu d’aménagements. Le Chœur qui ne chante pas sur la scène est remplacé par des acteurs muets et masqués. Les distances sanitaires sont respectées et les lumières imaginées par Patrick Méeüs sont adaptées pour la télévision. Giuseppe Verdi avait déjà transposé son opéra par rapport à la pièce de Schiller, Louis Désiré le transpose à son tour. Nous ne sommes plus au Tyrol mais en Italie dans un monde mafieux d’après-guerre. Fidèle à sa vision des drames il nous plonge dans un univers très sombre. Une sorte de huis clos minimaliste mais où tout est dit. Les décors se résument à de grands panneaux de bois, noirs. Tout est délimité sur la scène ; au fond un escalier monumental figure l’intérieur du château du Comte Walter, côté jardin la maison de Wurm, côté cour l’intérieur de la maison de Miller, plus éclairée, meublée simplement mais avec élégance, qui tourne ou se ferme selon les besoins de la mise en scène. La scène est une agora où l’on se croise, où l’action se déroule avec quelques fauteuils dispersés, plus luxueux suivant qu’ils évoquent un intérieur plus riche. Diego Mendez Casariego, qui signe ces décors signe aussi les costumes. Chapeaux, costumes croisés pour les acolytes du Comte, Long manteau pour le Comte lui-même, costume pour Rodolfo et robes villageoises aux teintes automnales pour les invitées à la fête de Luisa. Diego Mendez Casariego ne se départit jamais d’une certaine élégance et si la robe bleue bien coupée de Luisa reste sobre, la tenue de Frederica, nièce du Comte est, elle, somptueuse par la qualité des tissus mais dans une certaine sobriété aussi ; long manteau noir qui recouvre une robe au corsage noir mais à la longue jupe or. Superbe ! Ces quelques couleurs servent de focus aux éclairages de Patrick Méeüs qui respectent l’ambiance sombre tout en éclairant plus fortement la maison de Miller habitée par des personnages aux cœurs purs. Contrastes voulus qui, sans rien d’ostentatoire révèlent les caractères de chacun. Joli moment de mise en scène et d’émotion, lorsque Luisa se présente devant Frederica qui est vêtue de sa robe de mariée, cette dernière ôte son voile, pour en coiffer une Luisa mourante. Petite entorse voulue par le metteur en scène qui trouve plus cohérent de faire tuer Wurm par le Comte afin qu’il ne puisse plus jamais révéler le secret qui l’accuse plutôt que par un Rodolfo expirant. Sur les dernières notes de l’ouverture, l’ouvrage est présenté scéniquement ; tout noir avec quelques niches de couleurs dispersées à différentes hauteurs, où apparaissent certains personnages. Effet stupéfiant. Sommes-nous transportés dans un tableau de Pierre Soulages ? L’atmosphère est donnée, inquiétante mais majestueuse. Le plateau vocal est somptueux, les voix s’unissent dans une musicalité qui respecte le huis clos et permet de vivre le drame de l’intérieur.  Suzana Markova est Luisa Miller. Cette superbe soprano déjà appréciée sur cette scène en 2014 (Traviata) et 2016 (Lucia di Lammermoor) a gardé son allure de jeune fille et sa voix délicate aux aigus cristallins. D’une parfaite crédibilité dans ce rôle la voix épouse ses sentiments, tout en retenue, qui passent avec aisance et simplicité du bonheur à la souffrance. L’émotion transparait dans sa voix ; les couleurs, les nuances sont aussi belles dans la puissance que dans les piani et n’enlèvent rien à l’éclat des aigus. Si les changements de sentiments sont au rendez-vous, la musicalité et la beauté du phrasé restent jusque dans les duos qu’elle interprète avec Rodolfo, Miller ou Frederica. Une Luisa de rêve avec l’âme au bord des lèvres. Stefano Secco est Rodolfo, un amoureux qui doute facilement. Souvent sollicité, le ténor enchaîne les notes aigues. Si elles ne vont pas jusqu’au contre ut, elles sont belles, claires, rondes et affirmées. Stefano Secco n’est pas ici un ténor héroïque, le rôle ne le demande pas, il est un ténor sans faille, sans aucune faiblesse dans la voix et c’est la musicalité de chaque note, chaque inflexion que l’on remarque en premier. Le timbre est velouté dans chaque nuance, le souffle soutient les notes et amène les forte. Les demi-teintes restent timbrées et les aigus projetés et tenus donnent une dimension dramatique à ses sentiments de révolte. Le ténor italien sait, comme personne, adapter sa ligne de chant dans les duos ou ensembles ; duo d’amour superbement chanté en osmose avec Luisa. Stefano Secco est un ténor de luxe ici pour la musicalité, l’interprétation et le style. Gezim Myshketa est aussi un Miller de tout premier ordre. La voix du baryton albanais possède une chaleur et une rondeur de son que l’on apprécie dans chaque nuance. De l’allure, du style, une voix projetée qui laisse éclater sa colère mais des inflexions d’une grande tendresse lorsqu’il s’adresse à Luisa. Le dramatique disparaît, la voix devient plus délicate, mais avec une grande puissance émotionnelle dans un duo père/fille où les deux voix se répondent dans une même ligne musicale. Si Gezim Myshketa est un baryton puissant, une longue phrase lyrique laisse apprécier la musicalité du phrasé. Un trio vocal de toute beauté. Maurice Xiberras sait choisir des voix qui s’accordent pour de superbes distributions. Pour ce plateau de rêve il nous offre la voix magnifique de la mezzo-soprano française Sophie Koch pour interpréter le rôle de Frederica. Quelle allure, quelle profondeur de voix, quelle musicalité ! Une voix homogène qui s’accorde à merveille avec le velouté de la voix du ténor pour un superbe duo aux aigus assurés. Une Frederica somptueuse ! La voix de basse forte et autoritaire de Nicolas Courjal est tout à fait adaptée au rôle du Comte Walter. De l’allure pour ce personnage qui s’impose. Sa voix au large ambitus fait ressortir des graves profonds et lui permet des aigus timbrés et colorés. Si les attaques forte sont quelquefois trop appuyées le medium, plus musical, lui permet de jouer sur les couleurs de sa voix. Une voix affirmée qui devient inquiétante comme le personnage. Marc Barrard qui interprète Wurm possède lui aussi une voix grave, une voix solide de baryton. Avec énergie il incarne ce personnage fourbe et inquiétant. Il assure graves et aigus dans une voix sonore et bien placée. Très en place vocalement, il l’est aussi scéniquement. Un plateau qui, jusque dans les seconds rôles, propose des artistes de grande qualité. Ainsi, c’est à Laurence Janot qu’il appartient de défendre le rôle Laura, ce qu’elle fait avec assurance et musicalité dans une voix harmonieuse et un joli style aux belles prises de notes. Aussi bien vocalement que scéniquement, la soprano lyrique française donne vie à ce rôle. Bien que cantonnés dans la salle, au premier balcon, les artistes du Chœur, toujours admirablement préparé par Emmanuel Trenque, réussissent à donner toutes les couleurs et les sentiments voulus par le compositeur ; chœur de femmes, chœur des chasseurs, notes staccato ou chant plus legato. Avec intelligence et musicalité, le Chœur, sans être visible, donne un relief sonore à certaines scènes. L’on peut toujours regretter qu’un orchestre ne soit pas au complet, mais force est de constater que la qualité de cette nouvelle orchestration et les qualités du chef d’orchestre qui connaît parfaitement l’ouvrage, ont donné un magnifique résultat. Dès l’ouverture, Paolo Arrivabeni réussit à trouver une sonorité compacte et homogène faisant oublier le nombre réduit de musiciens dans la fosse d’orchestre. Les nuances, les attaques précises, le soutient des chanteurs donnent à ce spectacle une grande cohérence musicale. Chef d’orchestre sensible, Paolo Arrivabeni dirige chanteurs et musiciens avec intelligence, ne cherchant jamais à forcer les sonorités mais au contraire, en recherchant la musicalité. Une représentation réussie à voir absolument sur France Télévision courant mai. Un immense bravo qui, nous l’espérons, mettra du baume au cœur de tous les artistes. Photo Christian Dresse