Festival d’Aix-en-Provence 2021: “Falstaff”

Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché saison 2021
“FALSTAFF”
Commedia lirica en 3 actes, livret d’Arrigo Boito, tiré des Joyeuses commères de Windsor et Henry IV parties I et II de William Shakespeare.
Musique Giuseppe Verdi
Sir John Falstaff CHRISTOPHER PURVES
Ford STEPHANE DEGOUT
Fenton JUAN FRANCISCO GATELL
Mrs Alice Ford CARMEN GIANNATTASIO
Mrs Quickly DANIELA BARCELLONA
Nannetta GIULIA SEMENZATO
Mrs Meg Page ANTOINETTE DENNEFELD
Dottore Cajus GREGORY BONFATTI
Bardolfo RODOLPHE BRIAND
Pistola ANTONIO DI MATTEO
Chœur et Orchestre de l’Opéra de Lyon
Direction musicale Daniele Rustioni
Chef de Chœur Roberto Balistreri
Mise en scène Barrie Kosky
Scénographie, costumes Katrin Lea Tag
Lumières Franck Evin
Dramaturgie Olaf A. Schmitt
Aix-en-Provence, le 3 juillet 2021
Retrouver le Festival d’Aix-en-Provence qui avait annulé tous ses spectacles la saison dernière pour cause de pandémie est comme aller à une fête longuement attendue. Fête pour le public, pour les artistes et certainement pour les organisateurs aussi. Le public est là, nombreux, malgré les contraintes sanitaires. En cette soirée du 3 juillet nous allions voir, écouter, savourer “Falstaff”, l’œuvre ultime de Giuseppe Verdi, ce jeune homme de 80 ans qui signe là sa seule œuvre buffa. Quelle énergie, quelle truculence et quel humour dans cette écriture. Si nous ne le savions déjà, la dernière phrase de Falstaff nous le rappelle : “Tutto nel mondo è burla. L’uom è nato burlone“. Un régal ! Pour illustrer cette œuvre, le Festival d’Aix-en-Provence a fait appel au metteur en scène australien Barrie Kosky, actuel directeur général et artistique du Komische Oper de Berlin qui met en scène des opéras depuis de nombreuses années. Distingué en 2018 pour sa mise en scène des “Maîtres chanteurs de Nuremberg” au Festival de Bayreuth, nommée production de l’année, nous avions pu l’applaudir à cette époque. S’il n’a mis en scène que peu d’opéras de Verdi, Barrie Kosky avoue avoir toujours adoré “Falstaff”. Cette comédie l’enchante et, si le personnage le séduit, il ne le voit pas tel qu’on le représente très souvent, bedonnant, vulgaire, suffisant, gros mangeur, ridicule, et, ridicule il l’est par moments mais le metteur en scène est plein de compassion pour ce personnage qui sait rire de lui-même. Plus épicurien que rabelaisien ? Plus gourmet que gargantuesque ? Les femmes l’intéressent ? Sans nul doute, mais plus séducteur que consommateur. C’est ce côté sympathique que Barrie Kosky veut faire ressortir ici. Il ne s’est pas vu vieillir et, s’il ne séduit plus les femmes, il séduit le public. D’entrée nous nous trouvons dans une émission de “Top Chef” un peu burlesque, Falstaff cuisine. Montagne de victuailles, grands couteaux et long tablier blanc. Si le ventre proéminent de Sir John Falstaff a disparu dans cette version, il est nu sous son tablier et nous montre sa fesse impertinente et rebondie. Le metteur en scène, en parfaite adéquation avec la musique et le chef d’orchestre, suit les tempi, les nuances, les respirations de la musique dans une mise en scène un peu échevelée mais qui ne laisse aucune place à l’ennui. Quatuor féminin et sextuor masculin s’agitent, se rencontrent, s’évitent dans une direction d’acteurs millimétrée. Nous devons les costumes et la scénographie à Katrin Lea Tag qui nous propose un “Falstaff” un peu vintage. Décor unique : trois murs recouverts d’un papier peint assez neutre. L’Auberge de la Jarretière est simplement meublée et sans aucune recherche de tables et de chaises basiques. A l’Acte II, le panneau bucolique du fond de scène s’ouvre pour donner accès à la chambre d’Alice dans la maison de Ford. Tout est rose, sommes-nous dans un film de Walt Disney ? Un grand lit…rose, surmonté d’un dais de tulle blanc. Les femmes s’activent pour recevoir le gourmand Falstaff avec une multitude de gâteaux et pièces montées. C’est loufoque et charmant. L’Acte III est peut-être moins réussi, point de forêt mais des acteurs tout en noir qui cherchent à effrayer Falstaff. Les costumes des dames sont colorés, seyants, années 50, avec pour seule ambition de séduire l’œil. Alice, très glamour est vêtue d’une robe d’un rose assorti à la couleur de sa chambre et, rose aussi le costume du Dottore Cajus. Ford troque son costume gris trois pièces, très sérieux de mari jaloux pour un costume blanc, de séducteur italien, œillet rouge à la boutonnière alors que Falstaff change de perruque et se veut séducteur dans un costume de rocker vert pomme, mais c’est affublé d’une superbe paire de cornes qu’il se rend à son rendez-vous galant dans la forêt. Les lumières conçues par Franck Evin se mettent au diapason de la mise en scène pour ce conte désuet : Plus ou moins blanches dans l’auberge mais carrément sombre dans la forêt. Tout est d’une grande cohérence et l’on s’amuse avec les chanteurs. Grande homogénéité au niveau des voix et du jeu des acteurs. Ce “Falstaff” restera comme un moment de grand divertissement, qui pourrait faire penser aux “Fourberies de Scapin” de Molière, avec quelques instants de tendresse éprouvés pour cet homme qui, finalement, rit de ses mésaventures. Christopher Purves est un Falstaff crédible, même s’il est inhabituel. Moins imposants, moins suffisant, plus touchant peut-être. Le baryton anglais met sa voix au service de ce personnage pour une interprétation stylistique ; chef gourmet, séducteur naïf au look de rocker aux cheveux longs. La voix n’est peut-être pas d’une grande profondeur, mais elle est sans faille, homogène et qui passe sans forcer, dévoilant une grande musicalité et un phrasé adapté. Une superbe interprétation sur laquelle repose la pièce. Un grand bravo ! Stéphane Degout est Ford, ce mari jaloux et sans humour qui nous amusera tout de même, déguisé en M. Fontana, perruque noire gominée, costume blanc œillet rouge à la boutonnière. Il nous laisse apprécier sa voix puissante de baryton dans un soliloque sonore où sa colère éclate en des aigus colorés. Magnifique interprétation musicale dans une voix sonore et bien placée. Juan Francisco Gatell est un Fenton qui joue les étudiants attardés en costume bleu, pantalon court. Virevoltant, courtisant avec insistance une Nanetta déjà conquise, il chante avec talent. Seul ou en duo avec Nanetta, sa voix est fraîche, assurée, est en parfaite adéquation avec le personnage. Nuances justes, phrasé musical, notes tenues ou forte chantées avec élégance. Carmen Giannattasio est une Alice Ford blonde et tout à fait glamour dans sa robe rose. Sa voix claire et colorée porte au loin, les aigus sont puissants et jamais forcés. Le médium est homogène et les graves timbrés. Carmen Giannattasio mène avec entrain le quatuor féminin dans une voix de soprano mélodieuse. Daniela Barcellona est une Mrs Quickly à la voix et au caractère bien trempés. Manipulatrice ou séductrice, la mezzo-soprano italienne impose sa voix solide des graves timbrés aux aigus colorés. Du rythme, de la présence, de l’énergie…Falstaff ne fera pas le poids. Autre soprano de caractère, mais une jeune fille cette fois, la Nannetta de Giulia Semenzato. Allure juvénile, voix fraîche aux aigus clairs dans un joli vibrato. Mutine, elle propose avec Fenton de jolis duos aux rythmes marqués. Quatuor de caractère complété avec la Mrs Meg Page d’Antoinette Dennefeld. Voix de mezzo-soprano affirmée et colorée qui passe sans forcer, rythme et jeu fluide. Une prestation remarquée. Le trio masculin de comprimari complète avec bonheur ce plateau en tous points homogène. Gregory Bonfatti est un Dottore Cajus amusant et crédible dans son costume rose ; voix claire de ténor projetée, il chante, joue en rythme et anime la scène. Autre voix de ténor colorée et projetée, celle de Rodolphe Briand. Toujours en place, toujours bien dans ses rôles de compositions, il est ici un Bardolfo tout à fait juste. Antonio di Matteo est un Pistola à la voix grave de basse affirmée. Avec un physique de Nounours il complète ce trio vif et amusant. On apprécie au dernier acte le Chœur de l’Opéra de Lyon très bien préparé par son chef Roberto Balistreri. Superbe ensemble aux attaques nettes, précises et rythmées. Jeu animé sur scène et qui participe à la gaîté ambiante dans des voix homogènes. Mais la fête ne serait pas complète sans l’Orchestre de l’Opéra de Lyon entrainé par son chef Daniele Rustioni. Il dirige cet ouvrage dans des tempi enlevés, soutenant le rythme avec énergie, maîtrisant rallentando et crescendo avec force et précision. Le chef d’orchestre italien fait ressortir chaque intervention avec netteté, laisse jouer chaque pupitre, cors, hautbois, cuivres sonores, contrebasses marquées, violons véloces ou plus mystérieux sur la pointe des archets. Dianele Rustioni a su façonner le son de cet orchestre, quatuor, petite harmonie et lui donner une identité sonore. Mais ici, c’est cette énergie, maintenue de bout en bout de l’ouvrage qui fera le succès et engendrera cette ovation particulière. Avec quelques trouvailles du metteur en scène, ainsi, Falstaff se présentant chez Alice Ford, non pas avec un bouquet de roses, mais tenant un ballon rose gonflé en forme de cœur. Une réussite pour un conte et un Falstaff qui ne se prennent pas au sérieux. Photo© Monika Rittershaus