Opéra de Toulon: “L’heure espagnole”

Toulon, Opéra, saison 2021 / 2022
L’HEURE ESPAGNOLE
“Comédie musicale” en un acte, livret de Franc-Nohain
Musique de Maurice Ravel
Concepcion FLORENCE LOSSEAU
Ramiro RAOUL STEFFANI
Torquemada ETIENNE DE BENAZE
Gonzalve GREGOIRE MOUR
Don Inigo Gomez CHRISTIAN ANDREAS
Orchestre de l’Opéra de Toulon
Direction musicale Valerio Galli
Mise en scène James Bonas
Décors et costumes Thibault Vancraenenbroeck
Lumières Christophe Chaupin
Vidéo Grégoire Pont
Toulon, le 20 novembre 2021
En cette soirée du 20 novembre 2021 un petit bonheur nous était réservé à l’Opéra de Toulon ; petit par la longueur de l’ouvrage mais grand par le plaisir éprouvé et le talent des artistes. En effet, nous assistions à la première représentation de l’œuvre de Maurice Ravel “L’Heure espagnole” qui n’avait jamais été jouée sur cette scène. Ce premier opéra, composé en 1907 et créé le 19 mai 1911 à l’Opéra-Comique, Maurice Ravel le présentait plutôt comme une comédie musicale (comédie en musique) ou un opéra-bouffe. La musique de Maurice Ravel est toujours raffinée, imagée, aux couleurs souvent suggérées mais toujours rythmée et dans le reflet d’une certaine époque, la sienne, où l’humour est souvent présent, grinçant quelquefois, mais avec élégance et poésie. Pas tout à fait bien perçue lors des premières représentations, cette histoire un peu leste donnant de la femme une vision quelque peu légère dans une Espagne assez rigide, laissera dubitatifs certains esprits. Maurice Ravel avait-il envie de s’amuser ? Une certaine innovation musicale soutient le propos et le livret. Introduisant cloches, carillons, fouets ou célesta la musique reste légère avec des cors en sourdine et des glissandi de trombones. Pas de chœur, et simplement cinq solistes qui utilisent très souvent le mode récitatif, parlant plutôt que chantant des phrases lyriques. Ce petit bijou composé par Maurice Ravel est ici présenté avec beaucoup de charme dans une joyeuse simplicité par le metteur en scène James Bonas. Cette production venue de l’Opéra de Lyon y avait d’ailleurs reçu un vif succès. Cinq personnages, cinq chanteurs donc, sont représentés en animaux. Le mari horloger en souris, sa femme Concepcion plus chatte que souris, l’amant poète en lapin aux grandes oreilles, le vieux banquier amoureux en cochon rondouillet et le muletier en taureau dont la musculature fera chavirer le cœur de notre Concepcion. Y-a-t-il matière à réflexion ? Une épouse qui s’ennuie avec un mari pris par son travail et ses horloges et qui laisse un amant qui versifie la tête dans les étoiles et un banquier amoureux peu affriolant pour un muletier à l’air viril qui fait preuve de force et de patience en déménageant les horloges selon ses désirs…Si la musique est raffinée, la mise en scène ne l’est pas moins et évite toute vulgarité tout en suscitant l’amusement selon le souhait du compositeur. Nous sommes plongés dans un univers merveilleux, onirique, en noir et blanc où les tabs floutent les lumières. L’orchestre est en fond de scène et apparaît de temps à autres derrière un tulle blanc et nous nous trouvons comme dans une boîte où tout se passe et d’où nous ne sortirons, ravis, qu’au bout d’une heure, lorsque toutes les horloges auront été mises à l’heure. Dans cette direction des acteurs précise et millimétrée en rapport avec le texte, Thibault Vancraenenbroeck signe les décors et les costumes. Les justaucorps, blancs pour tout le monde, avec oreilles et queues adéquates, petite jupe à plumes pour Concepcion et veste noire pour le banquier Don Inigo Gomez, permettent des évolutions alertes. Imaginé sur le thème de la farce, le décor est minimaliste : un double escalier relié par une passerelle permet à Ramiro le muletier de monter et descendre les horloges (sortes de placards blancs avec ouvertures) que l’on déplace selon les envies changeantes de Concepcion, une table où l’horloger travaille et une chaise. Mais tout ceci est appuyé par les jolies vidéos imagées de Grégoire Pont qui projettent des horloges rythmées par le tic-tac des métronomes, des rues qui nous emmènent devant la boutique de l’horloger ou devant des gratte-ciels plus new-yorkais qu’espagnols dont les tours pointues sont terminées par des cadrans d’horloges style Big-Ben. Une vidéo art déco de grand escalier à double révolution avec ascenseur sans doute pour nous transporter en haut de ces horloges buildings. Les lumières imaginées par Christophe Chaupin sont tout à fait en adéquation. Blanc et noir un peu voilés, étoiles dans un ciel de nuit, tours éclairées par les lumières de la ville, teintes dorées éclairant quelquefois l’orchestre. Tout est suggéré plus qu’imposé. Dans ces ambiances poétiques les voix sont au diapason. Etienne De Bénazé est Torquemada le mari horloger. Il va, vient, toujours très occupé dans une voix de ténor bien placée dont la bonne diction projette les courtes phrases et qui prendra toute sa place dans le quintette final. Autre voix de ténor, celle de Grégoire MourGonzalve l’amant poète, qui lance ses aigus lumineux aux étoiles en pleine voix ou en falsetto. Charmant, il versifie de façon mélodieuse dans une belle diction, tout en animant son personnage de façon amusante. Christian Andreas est Don Inigo Gomez à la queue en tirebouchon. Sa voix grave de baryton-basse projetée et sonore rythme ses phrases avec drôlerie et à-propos dans un jeu expressif. Montrant sa force par ses muscles et sa voix de baryton, Raoul Steffani, le muletier Ramiro, séduit le public et Concepcion. Son timbre grave fait ressortir les phrases legato ou plus rythmées. Sa voix souple utilisée avec charme mais avec décision dans des aigus sonores éveillera l’intérêt de la Concepcion de Florence Losseau déçue par son poète “Oh ! Pitoyable aventure !”. Mais voilà une femme au fier tempérament qui ne manque pas de ressort. Mutine, séductrice, volontaire, elle défend avec panache son statut de femme émancipée avant l’Heure…espagnole. De belles nuances piani et de beaux aigus projetés dans une jolie voix claire de mezzo-soprano séduisent autant que son charisme. Flamboyant et joyeux quintette final de chanteurs jeunes et talentueux où chacun enlève son masque. L’Orchestre de l’Opéra de Toulon dirigé par son chef principal Valerio Galli est partie prenante du succès de cette soirée respectant à la nuance près l’écriture et les atmosphères voulues par le compositeur. Créant cette magie raffinée tout en mettant en valeur les timbres des instruments et des voix, le chef d’orchestre italien fait ressortir la poésie harmonique mais aussi les pointes d’humour contenues dans la partition tout en laissant émerger certains rythmes espagnols. Une interprétation qui séduit aussi par les couleurs et les sonorités de l’orchestre et qui se termine dans une bonne humeur générale. Une soirée sans prise de tête où talent rythmait avec plaisir. Un grand bravo ! Photos©Frédéric Stéphan