Marseille, Opéra Municipal: “Le voyage dans la lune”

Marseille, Opéra municipal, saison 2021/2022
“LE VOYAGE DANS LA LUNE”
Opéra-féerie en 4 actes, livret d’Albert Vanloo, Eugène Leterrier et Arnold Mortier d’après Jules Verne
Editions musicales du Palazzetto Bru Zane
Musique de Jacques Offenbach
Caprice VIOLETTE POLCHI
Fantasia SHEVA TEHOVAL
Flamma LUDIVINE GOMBERT
Popotte CECILE GALOIS
Quipasseparla KAËLIG BROCHE
Cosmos ERICK FREULON
Cactus CHRISTOPHE PONCET DE SOLAGES
Microscope ERIC VIGNAU
V’lan CHRISTOPHE LACASSAGNE
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Pierre Dumoussaud
Chef de Chœur Emmanuel Trenque
Mise en scène Olivier Fredj
Décors et costumes Malika Chauveau
Concepteur des décors et costumes Jean Lecointre
Chorégraphie Anouk Viale
Lumières Nathalie Perrier réalisées par Yves Caizergues
Marseille, le 29 décembre 2021
Si Neil Amstrong avait parlé d’un petit pas pour l’homme mais un grand pas pour l’humanité, après son alunissage le 17 juillet 1969, c’est à un grand bond dans la gaîté d’Offenbach que nous convie l’Opéra de Marseille à l’intérieur d’un obus pour un voyage interplanétaire. Le Palazzetto Bru Zane, en coproduction avec le CFPL (Centre français de promotion lyrique), dans son intention de faire ressortir certaines œuvres du répertoire romantique français injustement oubliées, nous entraîne dans ce voyage bien venu en cette période de pandémie où il nous est conseillé de rester chez soi. La lune a toujours intrigué et très souvent inspiré les artistes. En 1650 Cyrano de Bergerac n’avait-il pas écrit “L’Autre monde ou les Etats et Empires de la lune” ? Et plus près de nous, Jules Verne n’avait-il pas publié en 1865 son roman d’anticipation “De la Terre à la Lune” ? Jacques Offenbach s’en inspire (sans l’en informer) et cède à l’attrait lunaire en composant son opéra-féerie “Le Voyage dans la Lune” en 4 actes et 23 tableaux créé le 26 octobre 1875 au Théâtre de la Gaîté. Des décors qui débordent jusque dans la rue, des effets spéciaux (déjà !), 673 costumes et même un dromadaire sorti du Jardin d’Acclimatation. C’est dire si Offenbach crée l’événement. Repris au Théâtre du Châtelet à partir du 3 mars 1877, cet ouvrage atteindra les 247 représentations à Paris avant d’être propulsé vers Londres et Vienne. Le compositeur soigne tout particulièrement le rôle travesti du Prince Caprice interprété par Zulma Bouffar son amie de cœur. La production qui nous est proposée aujourd’hui et qui est destinée à voyager vers de nombreuses scènes francophones n’a peut-être pas la prétention d’égaler le succès planétaire rencontré à Paris lors de sa création, mais fait le pari de rester dans l’esprit d’Offenbach et de divertir, comme lui, le public. Pari réussi. Prévue pour être jouée à Montpellier pour ses premières représentations (saison 2020/2021), le voyage du virus covid19 en a décidé autrement et c’est donc à Marseille, en cette fin d’année 2021, que cette nouvelle production sera créée. Olivier Fredj assure la mise en scène dans une conception des décors et costumes de Jean Lecointre. Malgré quelques coupures après la scène de Montpellier où les premières répétitions avaient eu lieu, le schéma voulu par Offenbach est respecté avec ses nombreux tableaux et ses deux ballets. Moins de costumes évidemment, mais une conception originale. En 1902 le cinéaste Georges Méliès avait tourné un petit fim, science-fiction déjà, muet, en noir et blanc ; ce sera le fil conducteur de cette production. Cameramen, acteurs, régisseurs de scène : on tourne ! Tout se passe vu au travers de la lentille de la caméra ou d’un télescope braqué sur la Lune avec, entre chaque tableau, le visage de Jacques Offenbach dans une rondeur lunaire. Si le noir et blanc est de mise dans l’observatoire et la salle de lancement de l’obus où ont pris place nos rois cosmonautes amateurs, la Lune sera plus colorée avec des tableaux inspirés par des fonds marins, une chambre rose meublée d’un immense coquillage, une végétation gelée dans un froid lunaire, ou un verger où la pomme, fruit tant décrié sur la planète Terre, mettra en péril l’équilibre de la société sélénite en rendant tout le monde amoureux. L’éruption du volcan où étaient emprisonnés nos pauvres terriens les délivrera et tout finira sous un beau clair de terre. Comme toujours chez Offenbach, le succès est basé sur le rythme, les enchaînements d’airs, de tableaux, de dialogues aux allusions politiques. Le sourire, le rire rythment aussi la musique qui va accelerando. Mais il y a toujours chez ce compositeur des moments de poésie et Olivier Fredj respecte ces moments où la musique se fait plus langoureuse, avec ce bonhomme de neige et ces danseurs en blanc virevoltant sous les flocons. Evidemment le dromadaire ne sort pas du Jardin Zoologique -il n’y en a plus- mais sa représentation fait sourire. Aucune vulgarité dans les décors et les costumes réalisés par Malika Chauveau, la couronne ouverte du roi V’lan prend toute sa tête et nous transporte dans un conte pour enfants. Le gros Cosmos, roi sur la Lune, ressemble à une méduse, sa femme Popotte est une éponge (les femmes dans ce royaume sont utiles ou décoratives), certaines se trouvent coiffées d’un miroir ou d’un abat-jour telle Flamma. Seule Fantasia ressemble à une princesse dans sa longue robe vaporeuse, alors que son prince charmant Caprice est en globe-trotteur muni de battons terminés par de grosses chaussures de cosmonautes. Les lumières conçues par Nathalie Perrier et réalisées par Yves Caizergues rythment visuellement le spectacle en créant atmosphères et sentiments. Jolie chorégraphie imaginée par Anouk Viale avec peu de danseurs mais de grand talent. Le covid ayant jeté le trouble dans la distribution, Christophe Lacassagne remplace au pied levé Matthieu Lécroart. Il est un roi V’lan bonhomme à souhait, calme et amusant, dont la voix de baryton passe bien, rendant crédible ce personnage de conte dans le couplet du roi V’lan. Face à ce père à la sagesse tranquille son fils, le Prince Caprice dont la jeunesse agitée donne du rythme. Violette Polchi endosse le costume de baroudeur pour ce rôle travesti. Voix de mezzo-soprano juvénile et claire, elle projette ses aigus assurés dans des airs où se mêlent nuances et ligne de chant. Eric Vignau est un Microscope amusant avec son manteau et son casque gris. Son jeu approprié compense le peu de dialogues imaginés pour lui dans une présence rythmée. Peu de dialogues aussi pour son homologue CactusChritophe Poncet de Solages, mais une présence scénique de bon aloi. Si le roi CosmosErick Freulon manque un peu de projection, il impose son personnage avec une certaine aisance rendant amusante sa complicité avec le roi V’lan. Cécile Galois, toujours très efficace, est ici sa femme Popotte. Amusante, alerte, courant après Microscope dont elle est tombée amoureuse après avoir bu l’élixir à la pomme, elle participe à ce rythme qui met en joie chanteurs et musiciens dans une course effrénée. Kaëlig Boché est un Quipasseparla burlesque et efficace. Dans son costume blanc il chante son air d’une voix de ténor forte et timbrée dans un joli phrasé. Amusante Ludivine GombertFlamma, en lampadaire qui s’éclaire sous son abat-jour jaune. Voix claire qui passe sans forcer. La princesse Fantasia est la reine de la soirée. Sheva Tehoval est amusante dans chaque caractère de son rôle, mutine, intéressée, amoureuse, volontaire. Elle joue aussi bien avec sa voix que scéniquement pour imposer son personnage de princesse capricieuse. Son air “Je suis nerveuse” est un modèle du genre. Se jouant des difficultés, passant des aigus tendus au grave abyssal faisant même retentir certaines cocottes, ces notes piquées qui vont bien à sa nervosité. Un rôle de caractère pour une chanteuse au caractère affirmé. Le Choeur, toujours bien préparé doit subir quelques aménagements le covid circulant toujours. Certains chantent depuis les loges d’avant-scène, d’autres participent à la gaîté ambiante, mais avec les distances recommandées. Si cela enlève un peu de relief, la qualité des voix, des ensembles aux attaques précises font apprécier chaque intervention jusqu’au final de la neige que nous vivons parcourus de frissons. L’orchestration de la partition est particulièrement fouillée, riche et dense, relevant par moments de l’esprit symphonique et cela dès l’ouverture. Pierre Dumoussaud prend l’orchestre à bras le corps dans des tempi enlevés qui suivent le rythme de la scène tout en faisant ressortir quelques instruments solistes. L’on pense au cor solo dès l’ouverture. Les atmosphères changent, les rythmes aussi et entraînent un public conquis. Une salle remplie qui applaudit en cadence, merci monsieur Offenbach de nous donner un peu de gaîté. Photo Christian Dresse