Opéra Municipal de Marseille: “Die Walküre”

Marseille, Opéra municipal, saison 2021/2022
“DIE WALKÜRE”
Drame musical en 3 actes. Paroles et musique de Richard Wagner
Création en France de la version pour orchestre de taille moyenne – arrangement par Eberhard Kloke 
Brünnhilde PETRA LANG
Sieglinde SOPHIE KOCH
Fricka AUDE EXTREMO
Gerhilde JENNIFER MICHEL
Helmwige LUDIVINE GOMBERT
Ortlinde LAURENCE JANOT
Waltraute LUCIE ROCHE
Rossweisse CARINE SECHAYE
Siegrune CECILE GALOIS
Grimgerde MARIE GAUTROT
Schwertleite JULIE PASTURAUD
Siegmund NIKOLAÏ SCHUKOFF
Wotan SAMUEL YOUN
Hunding NICOLAS COURJAL
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Adrian Prabava
Adaptation scénique Charles Roubaud
Costumes Katia Duflot
Lumières Marc Delamézière
Vidéos Camille Lebourges
Marseille, le 9 février 2022
Contre vents et marées, mais plutôt contre covid et défections, l’Opéra de Marseille donnera la Walkyrie. Avec beaucoup d’aménagements et une mise en scène plus que réduite, mais avec une grande volonté et une non moins grande détermination de la part des artistes, de la technique, mais surtout du directeur général qui se bat depuis le début de la pandémie afin d’assurer les spectacles. Cet ouvrage, peut-être le plus connu de Richard Wagner, attire non seulement les inconditionnels de sa musique mais aussi un public plus populaire car, peu nombreux sont ceux qui n’ont pas les notes de “La chevauchée des Walkyries” dans l’oreille, ces phrases musicales qui ont rendu célèbre le film de Francis Ford Coppola “Apocalypse Now”. Pour assurer ce spectacle dans le respect des normes sanitaires, La direction a été amenée à faire des choix plus que contraignants. Orchestre sur scène, mais orchestre réduit pour cette partition qui demandait un trop grand nombre d’instrumentistes. La version d’Eberhard Kloke n’est sans doute pas une version rêvée pour les puristes, mais elle donne la possibilité d’une représentation au plus près du texte, du plaisir et des émotions. L’orchestre, en fond de scène jouant derrière un tabs, n’est pas visible de la salle, non plus que le chef d’orchestre. Peut-être Richard Wagner aurait-il apprécié cette disposition, lui qui, à Bayreuth, avait désiré que l’on ne voie ni orchestre ni chef, voulant être, avec sa musique, le grand et le seul triomphateur. Les difficultés seraient pour les chanteurs qui allaient tourner le dos à l’orchestre et n’auraient pour tout contact avec le chef, que deux écrans placés en hauteur. La fosse d’orchestre, recouverte, laissait ainsi assez de place pour une adaptation scénique. Si Charles Roubaud n’a pu redonner sa version de 2007 initialement prévue, il a su s’adapter, avec son équipe, et nous proposer un visuel attrayant et tout à fait en rapport avec le texte et la musique. Peu d’action dans cet ouvrage mais de longues phrases avec simplement deux ou trois chanteurs en scène et c’est avec à propos et intelligence que le metteur en scène dirige chaque acteur pour un jeu fluide et sensible où chaque expression a son importance. Les vidéos de Camille Lebourges animent les scènes avec poésie et crédibilité. Des troncs d’arbres qui se transforment en rochers, des ciels clairs ou nuageux pour des orages qui font gronder les timbales et jaillir des éclairs lumineux, des branches noires d’arbres que le vent fait bouger de façon inquiétante alors que les Walkyries quittent le champ de bataille et ce magnifique effet de flammes qui entourent Brünnhilde endormie sur son rocher. Les lumières de Marc Delamézière suggèrent les atmosphères, prennent des teintes dorées pour l’hymne au printemps, s’assombrissent pour la colère de Wotan ou éclairent avec froideur la superbe tête de bélier, symbole de Fricka, alors que celle-ci impose avec rage ses volontés à son mari. Katia Duflot ne reprend pas les costumes de l’ancienne production et habille avec soin chaque chanteur sans réelle connotation d’époque mais en respectant le caractère des personnages avec toujours cette recherche d’élégance qui caractérise son travail. Les Walkyries restent féminines avec leurs jupes vaporeuses mais gardent le côté guerrier avec des corsages imitant une armure. Le costume de Fricka est un modèle de beauté. Un long tailleur en cuir noir moulant dont le plissé recherché de la jupe est un sommet d’élégance digne de cette déesse au pouvoir immense. Tout de cuir noir vêtu lui aussi, son mari le dieu Wotan déploie sa puissance dans un long manteau ajusté. Un couple à la prestance remarquée. Dès les premiers accords Richard Wagner s’impose et ne lâche plus l’auditoire médusé. Si quelques modifications orchestrales ont eu lieu dans la version d’Eberhard Kloke, elles n’enlèvent rien à la beauté de la musique, à sa puissance et à la splendeur des harmoniques servies par un orchestre en grande forme. La qualité des musiciens et leur facilité d’adaptation aux conditions difficiles donnent à cette interprétation une dimension digne des plus grandes scènes. Lawrence Foster s’étant retiré de la production pour raisons personnelles, Adrian Prabava prend sa place, au pied levé. Dirigeant cet ouvrage pour la première fois, sans voir les chanteurs, il impose ses tempi plutôt modérés, donne les couleurs, trouve les sonorités, ne couvrant jamais les chanteurs même au plus fort de la puissance. Le maestro sait faire ressortir chaque instrument soliste, solo de violoncelle au vibrato chaleureux, cor anglais, cors et tuben, clarinette basse aux graves suaves, timbales mystérieuses ou orageuses, trompettes qui rythment sans saturer les sons, trompette basse sonore pour des leitmotive qui reviennent ou s’enchaînent. Mais, si l’orchestre est à l’honneur dans cette musique ô combien majestueuse et souvent d’un grand romantisme, le souci de l’accompagnement des chanteurs est omniprésent dans le soutien du phrasé, les respirations et les nuances. Des chanteurs de tout premier ordre, sans faille et qui ont su captiver l’auditoire pendant près de quatre heures. Une performance ! Merveilleux Nikolaï Schukoff que nous avions déjà applaudi au Festival d’Aix-en-Provence en juillet 2019 dans le rôle de Jim Mahoney (Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, de Kurt Weill). Il est ici un Siegmund que nous pouvons qualifier d’exceptionnel. Une présence scénique alliée à un timbre chaleureux d’une rare beauté dans chaque note, une compréhension du personnage qui se traduit par des inflexions, des phrasés, des respirations et des éclats justes qui démontrent la grande musicalité de ce chanteur inspiré. Dans cette disposition scénique où tout  repose sur les chanteurs, le ténor autrichien nous fait découvrir toutes les facettes d’une voix somptueuse, projetée avec aisance et sûreté. La chaleur ambrée des graves, la joie, la poésie dans un long phrasé musical pour un hymne au printemps (Winterstürme wichen), mais la vigueur du heldentenor wagnérien dans ses “Wälse, Wälse !” puissants et tenus. Une prestation remarquable qui séduit non seulement Sieglinde mais tout un public. Sophie Koch est cette Sieglinde dont la voix au timbre charnu se marie si bien avec celle légèrement barytonante de Nikolaï Scukoff. Un couple mythique, certes, mais tout à fait charismatique et en complète osmose. la direction d’acteurs de Charles Roubaud prend ici une réelle dimension ; peu de gestes mais des sentiments suggérés ou une explosion de joie et de passion sans rien d’exagéré. Etonnante Sophie Koch dans cette voix de soprano qui garde les accents de la mezzo, Justesse impeccable, aigus brillants venus des profondeurs pour un texte romantique exalté. L’homogénéité de sa voix fait merveille dans les nuances, l’expression, la projection et le soutien du souffle. Dans un vibrato expressif mais néanmoins maîtrisé, la Charlotte de “Werther” trouve ici les inflexions allemandes et devient une superbe wagnérienne jusque dans sa révolte passagère contre Brünnhilde. Interprétation fascinante ! Brünnhilde est interprétée par Petra Lang, cette wagnérienne connue et reconnue qui chante sur toutes les scènes mondiales jusqu’à Bayreuth où elle se produit régulièrement : Ortrud, Isolde, Kundry. Nous l’avions justement applaudie sur cette scène dans le rôle d’Ortrud (Lohengrin) en mai 2018. Elle est ici cette Walkyrie rebelle qui tiendra tête à son père Wotan et sera chassée du Walhalla pour avoir essayé de sauver Siegmund. En grande musicienne, elle exprime avec sensibilité toutes les facettes de son personnage par son jeu scénique et les contrastes de sa voix. Voix wagnérienne s’il en est dans la vigueur de ses Hojotoho lancés de façon guerrière, mais aussi dans des inflexions plus tendres, plus piano, toujours timbrées et savamment projetées. Si la voix de Petra Lang sait faire preuve de bravoure dans une tessiture très aigüe, sa belle technique lui permet des contrastes de registres dans une belle homogénéité vocale, passant du rapport de force avec Wotan à une tendresse palpable dans des piani colorés. Superbe interprétation qui dévoile toute sa musicalité dans la tristesse du dernier échange avec Wotan avec une voix claire, prenante au long phrasé mélodieux. très bel aigu long, tenu, puissant. Un grand bravo ! Face à cette fille tant aimée de Wotan, une Fricka puissante  et déterminée qui oblige son mari à capituler après un affrontement où l’énergie redouble sa puissance vocale. Voix terrible, profonde aux aigus éclatants et tenus. Aude Extrémo est cette déesse moulée dans son tailleur de cuir qui suggère sa féminité mais dont la voix altière impose sa volonté. Quelle rondeur de voix et quelle chaleur dans les aigus. Souveraine dans ses déplacements, mais musicale dans son chant, la mezzo française s’impose avec une puissante et une couleur de voix qui s’harmonisent avec celles du Wotan de Samuel Youn. Un Wotan d’exception dont le charisme irradie la scène. Présence, évolutions, jeu expressif, respirations qui donnent du poids au texte et aux sentiments. Le baryton-basse coréen est un Wotan particulier tant il est réaliste et crédible, dans son humanité pour sa fille, sa faiblesse face à Fricka, mais aussi dans sa colère divine et terrible. Son adieu à Brünnhilde est un moment de grande émotion tant par son accablement, son échange avec la Walkyrie chassée de son royaume dans une tenue au médium coloré et jusqu’à cet appel à Loge détenteur du feu pour cet embrasement du rocher. C’est réellement du beau chant! Samuel Youn impose sa prestance dans un jeu sans ostentation, mais aussi dans une voix magnifique aux graves profonds dans un mélange d’autorité, de noblesse et d’émotion. Le timbre est séduisant jusque dans ses aigus puissants et colorés ou ses prises de notes, la colère lui va bien, la tendresse le rend touchant et la voix évolue avec souplesse. Une prise de rôle dans cette Walkyrie qui marquera certainement les scènes à venir. Nicolas Courjal fait résonner sa voix de basse dans le rôle de Hunding avec autorité et puissance. Des aigus sonores qui s’opposent à des piani parlando projetés ; sa voix ample et forte aux graves profonds font de ce Hunding un personnage crédible et inquiétant au relief sombre et particulier. les rôles des huit Walkyries bien distribués sont parfaitement tenus. On remarque Jennifer Michel (Gerhilde), Ludivine Gombert (Helmwige), Laurence Janot (Ortlinde), Lucie Roche (Waltraute), Carine Séchaye (Rossweisse), Cécile Galois (Siegrune), Marie Gautrot (Grimgerde), Julie Pasturaud (Schwertleite)  dont les voix aux tessitures différentes se distinguent, s’emmêlent pour des Hojohoto sonores. Se détachant de l’orchestre, l’ensemble des voix bien projetées reste homogène jusque dans les rythmes. Un beau moment qui anime cet ouvrage sans choeur. Si cette version nous prive de quelques mesures de chevauchée, l’émotion donnée par la complexité harmonique de la musique de Richard Wagner aux accords remplis de plénitude est au rendez-vous. Ensemble parfait entre les chanteurs et le chef d’orchestre qui ne se voient pas mais ne concèdent aucun décalage. Une superbe réalisation qui fait encore remarquer qu’il n’est nul besoin d’une mise en scène farfelue pour atteindre des sommets d’émotion. Un metteur en scène un peu poète et un superbe plateau, voilà le secret. Un immense bravo ! Photo Christian Dresse