Aix-en-Provence, Festival de Pâques 2022: Yuja Wang en concert

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Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2022
Piano Yuja Wang
Ludwig van Beethoven: Sonate pour piano No18 en mi bémol majeur, op. 31 No3; Arnold Schoenberg: Suite pour piano, op. 25;
György Ligeti:Etude No6 “Automne à Varsovie” Etude No13 “L’escalier du diable”; Alexandre Scriabine:Sonate No3 en fa dièse mineur, op. 23; Isaac Albéniz: “Lavapiés” extrait d’Iberia, cahier 3
Nikolaï Kapoustine: Prélude, op. 53 No 11. Prélude, op. 53 No 1O
Aix-en-Provence, le 18 avril 2022
Si les différents concerts auxquels nous avions assisté nous avaient transportés dans des atmosphères religieuses, romantiques, sages ou passionnées, en allant écouter le récital de piano proposé par Yuja Wang nous savions qu’il n’en serait pas de même. Le programme déjà, qui allait explorer des musiques de styles différents avec un saut de plusieurs siècles, la personnalité de la pianiste ensuite dont l’image controversée est connue. Mais rien n’effraie le public amateur d’émotions…fortes. Beethoven, certes, Schoenberg, tiens, tiens, Ligeti, pourquoi pas, Scriabine, Albeniz…Intéressant, Kapoustine et le XXIe siècle ? Mais ce n’est pas le programme éclectique, mais plutôt le phénomène Yuja Wang qui a attiré le public. Et phénomène, oui ! Peut-on imaginer un concert étincelant de plus de deux heures sans une véritable phrase musicale ? Et pourtant… Au-delà de ses robes “Folies Bergère” et de ses talons aiguilles vertigineux, c’est sans doute l’exécution de la Sonate de Beethoven qui nous a le plus étonnés. Energique, sans trop de délicatesse avec des oppositions de nuances très contrastées où les notes perlées sonnent de manière sèche, sans ligne musicale. Le tempo allant du scherzo est une démonstration de technique et, si le menuet semble plus musical, les phrases n’aboutissent pas. Le Presto, joué avec vélocité et un plus joli toucher est tout à fait con Fuoco mais sans la légèreté de ce mouvement. Une sonate de Beethoven où Beethoven était absent. La Suite op. 25 d’Arnold Schoenberg est la première œuvre totalement dodécaphonique du compositeur qui, par sa structure, rend hommage à Jean-Sébastien Bach. Cette œuvre un peu narrative devient uniquement technique sous les doigts de la pianiste chinoise qui enlève les effets délicats ou un peu humoristique. Malgré les passages piano qui laissent entendre un plus joli toucher, cette musique d’atmosphère n’arrive pas à retenir l’attention. La Gigue vient terminer cette pièce avec plus d’agilité dans une interprétation technique pour finir dans une grande descente jouée forte. Les deux études de György Ligeti paraissent d’une interprétation plus intéressante. La No6 “Automne à Varsovie”, avec une main gauche en continuo, la main droite créant le mystère pour un discours en petites touches. Les nuances appropriées laissent apprécier les intentions du compositeur qui, au-delà d’un déploiement de technique, a voulu créer des atmosphères très contrastées, main droite en gouttes d’eau pour un déferlement paroxysmique puis une extraordinaire descente abyssale impressionnante. La No13 “L’escalier du diable” est une sorte de continuo à deux mains qui semble ne jamais vouloir s’arrêter ; main droite aiguë qui, dans un ostinato de sons fortissimi, déclenche cloches et carillons. Mains croisées dans un feu d’artifice de notes super aiguës. Prouesse technique, physique qui s’apaise sur un accord main gauche qui laisse s’évanouir le son. La Sonate d’Alexandre Scriabine est sans doute la meilleure interprétation de la pianiste en cette soirée. Si cette sonate sous-titrée “Etats d’âme” marque la fin de la période romantique du compositeur, elle a gardé quelques envolées lyriques malgré les moments de tension alors que Scriabine semble se raconter. Yuja Wang fait ressortir quelques lignes musicales avec plus de délicatesse dans le toucher, mais ne réussit pas à maîtriser la force de sa main gauche ou les nuances poussées à l’extrême dans le Presto con Fuoco. La force doit-elle remplacer la musicalité ? Quelques mesures de musique tout de même dans une phrase lyrique. Avec Isaac Albéniz nous abordons une musique différente, plus typée. Lavapiés est le seul titre du cahier 3 Iberia qui ne s’inspire pas de l’Andalousie, l’Espagne est là, présente, aux rythmes d’un tango andalou. Mais peu d’Espagne sous les doigts de la pianiste chinoise qui en fait un exercice technique joué avec trop de force. Malaga ne sera pas plus épargné avec des écarts d’intervalles joués fortissimoBeaucoup de bruit pour rien… aurait pu dire William Shakespeare, mais piano en réminiscence pour une fin plus en douceur. La période jazzy de Nikolaï Kapoustine qui nous emmène aux portes du XXIe siècle inspirera un peu plus Yuja Wang, faisant chanter les notes qui se frottent, tout en laissant les rythmes jazzy résonner dans un tempo qui ne cesse d’avancer. Une interprétation plus colorée, plus inspirée aussi dans une technique parfaite. Six bis seront donnés pour remercier un public plus qu’enthousiaste, allant de Mendelssohn à une badinerie de Bach étonnante et détonante, en passant par l’étude No6 de Philip Glass et le Precipitato de la Sonate No7 de Serge Prokofiev, pour finir avec La Jongleuse de Moritz Morzkowski  dans un exercice de style, et les Variations sur le thème de Carmen de Georges Bizet. C’est sans doute l’étude de Philip Glass, à la manière d’un perpetuo que nous avons préférée. Public en délire pour cette exécution… Exploit physique dans une sorte de marathon pour une pianiste qui fait montre d’une technique éblouissante. Est-ce suffisant ? Le public enthousiaste a répondu, le succès était au rendez-vous. Photos Festival Pâques 22, Caroline Doutre