ENTRETIEN AVEC LE CHEF D’ORCHESTRE VICTORIEN VANOOSTEN

Le jeune chef d’orchestre français Victorien Vanoosten dirige “Werther” à l’Opéra de Marseille où il avait fait ses premières armes. Entre deux représentations il revient sur son parcours et nous fait partager sa passion pour l’opéra.
Bonjour maestro, vous dirigez actuellement “Werther” à l’Opéra de Marseille où vous aviez été l’assistant de maître Lawrence Foster il y a quelques années, vous étiez revenu pour diriger “Hérodiade” de Jules Massenet, puis “La Reine de Saba” de Charles Gounod ; vous retrouvez cette scène, l’orchestre. Est-ce pour vous comme un retour à la maison ?
Pour moi, c’est toujours un immense plaisir de me retrouver à Marseille. J’y ai d’ailleurs mon pied à terre même si je n’y habite que de temps en temps, mes obligations professionnelles m’obligeant à voyager où à rester en résidence de façon prolongée là où je suis nommé, Neuchâtel par exemple. Mais vous avez raison, diriger à l’Opéra de Marseille est un peu comme se retrouver à la maison, un retour aux sources si vous voulez car c’est dans cette maison que j’ai fait mes premières armes comme assistant du directeur de la musique, le maestro Lawrence Foster. Le poste avait été mis au concours, un concours difficile ; il fallait être pianiste, chef d’orchestre et aussi chef de chant. Mais, pour moi c’était tout ce que j’aimais. Participer à un opéra pour la préparation, dans les coulisses, sur le podium… L’Opéra de Marseille est une maison particulière, très attachante où les chanteurs et les chefs d’orchestre aiment revenir. Cette atmosphère, c’est sans aucun doute son directeur général Maurice Xiberras qui la rend si chaleureuse. Mais il y a aussi l’orchestre avec lequel il est très agréable de travailler, le public amateur de grandes voix et le fait aussi que la programmation, bien qu’assez diverse reste dans le répertoire en évitant soigneusement les mises en scène déjantées ; le public n’apprécierait pas, il déserterait tout simplement. J’ai passé deux années à ce poste et j’y ai beaucoup appris, la première année, 9 opéras étaient programmés et ni Lawrence Foster ni Maurice Xiberras, n’ont hésité à me laisser diriger. “Le portrait de Manon” de Jules Massenet en 2015 et “Hamlet” d’Ambroise Thomas. Pour cet ouvrage cela s’est passé de façon assez particulière, en remplacement au pied levé de Lawrence Foster, souffrant au moment du lever de rideau. Le maestro a été si content du résultat qu’il m’a offert la direction de la dernière représentation. Maurice Xiberras est un directeur qui aime fidéliser les artistes et aime aussi donner leur chance aux plus jeunes. Après mon départ il m’a engagé de nouveau pour diriger “Hérodiade”, de Jules Massenet encore, en 2018 et “La Reine de Saba” de Charles Gounod en 2019 et, plus tard encore, “Carmen” de Georges Bizet qui a malheureusement été annulé à cause de la pandémie. C’est donc avec une grande joie que je retrouve aujourd’hui Massenet et l’Opéra de Marseille pour ce chef d’œuvre de musique française qu’est “Werther”.
Est-il facile de mener de front une carrière de chef d’orchestre et une carrière pianistique ?
C’est en tant que pianiste que j’ai commencé ma carrière musicale et j’essaie de continuer aussi dans cette voie car les plaisirs sont grands mais finalement on se sent un peu seul avec son piano et moi, j’aime le partage. Pour tout vous dire je suis, très tôt, tombé amoureux de l’opéra et c’est sans doute ce qui m’a poussé à postuler pour ce poste d’assistant chef d’orchestre à l’Opéra de Marseille. Y-a-t-il un art plus complet en musique ? J’ai commencé comme chef de chant à L’Opéra de Paris, en Allemagne, c’est une excellente formation pour devenir chef d’orchestre à l’opéra ; connaître la partition de l’intérieur, pas seulement en la lisant, connaître les voix, faire travailler les chanteurs qui ont des interprétations, des respirations différentes. Cette connaissance permet de mieux les diriger lorsque vous êtes au pupitre. Vous ne pouvez pas arriver et diriger un opéra sans tout connaître, de la partition d’orchestre, des rôles de chaque chanteur ainsi que des interventions du chœur. Il faut aussi arriver à trouver la balance sonore ; c’est un énorme travail qui vous accapare et ne vous laisse pas trop de temps pour le piano qui, en plus de la pratique de l’instrument demande de retrouver certaines sensations physiques. Mais je tiens à conserver cette alternance qui demande une grande organisation et de la disponibilité aussi. J’ai enregistré certaines de mes transcriptions pour piano dont ‘L’oiseau de feu” d’Igor Stravinsky ou “Prélude à l’après-midi d’un faune” de Claude Debussy. J’aime beaucoup transcrire certaines œuvres pour piano ” cela demande, en dehors de la transcription elle-même, une sorte de gymnastique intellectuelle. J’ai aussi dirigé du piano l’Ensemble Symphonique de Neuchâtel, dont j’ai pris la direction en 2018, dans le concerto en sol de Maurice Ravel. Je ne dirai pas que tout ceci est facile, mais c’est un grand enrichissement.
Je crois avoir lu que vous avez toujours été, peut-on dire, fasciné par la direction d’orchestre, qu’est-ce qui vous attirait ?
– Bien que pianiste, la direction d’orchestre m’a toujours attiré, c’est vrai. Je dirai même que, peut-être, toutes mes études, mes diplômes tendaient vers ce but et, si je ne me prive pas du plaisir de diriger du symphonique, c’est sans doute l’opéra qui me comble le plus. J’aime les voix, la scène, l’expression théâtrale ; il y a tant de choses différentes dans un opéra, le drame psychologique, la densité orchestrale qui suit les sentiments. Vous ne pouvez pas diriger l’orchestre sans tenir compte de ce qu’il se passe sur scène. Et puis, tout peut arriver à l’opéra, un chanteur un peu moins en forme par exemple ; alors il faudra compenser, le soutenir, modifier un peu le tempo, c’est véritablement un spectacle vivant. Le public ne se rend pas compte, et c’est tant mieux, de tout le travail fourni en amont. Il assiste à un spectacle où tout doit avoir l’air facile, évident. C’est en cela que l’opéra est fascinant.
Quelles sont les rencontres déterminantes qui ont peut-être changé vos directions ?
Il y a des rencontres bien sûr qui vous emmènent vers des chemins que vous n’auriez pas imaginés, des professeurs qui vous donnent envie d’étudier une chose ou une autre et plus tard des personnes qui vous font confiance et vous ouvrent certaines portes. Des événements qui surviennent aussi, comme le fait d’avoir remplacé maître Foster pour diriger “Hamlet”, ou un autre remplacement encore, celui de Michel Plasson pour diriger la symphonie d’Ernest Chausson en Lituanie, ce qui m’a permis d’y être engagé pour d’autres spectacles, Maurice Xiberras qui m’a proposé de diriger plusieurs opéras après mon départ et maintenant “Werther”. Et puis il y a eu le maestro Daniel Barenboim qui m’a pris comme assistant pendant deux ans au Staatsoper de Berlin où j’ai aussi dirigé. Mais je dois dire que ces deux années à Berlin, dans le sillage, dans la vie musicale de Daniel Barenboim ont été pour moi d’un apport immense et d’une grande richesse. Je considère ce maestro comme un guide, un maître, c’est un musicien et un homme de très grande qualité qui aime former les jeunes et pas simplement sur un plan technique, mais en profondeur. Avec Daniel Barenboim j’ai appris mon métier et cette proximité m’a fait entrevoir d’autres approches de la musique et de ce métier justement. Etre chef d’orchestre, cela ne s’improvise pas, lorsque l’on est jeune on peut avoir acquis une certaine technique, mais les contacts humains viennent avec l’expérience et le vécu.

Avez-vous été amené à faire des choix ?
Il y a tout au long de l’existence des moments où l’on est confronté à des choix mais, dans mon cas, je me souviendrais plutôt des propositions qui sont venues à moi, au bon moment et que j’ai acceptées. Lorsque je suis amené à faire un choix, il est mûrement réfléchi et je ne le regrette jamais. Cela me permet d’avancer. Toujours regarder plus loin pourrait-être ma devise.
Comment abordez-vous cette vie de chef d’orchestre ; beaucoup de contraintes ?
Comme dans toute chose et dans tout métier il y a des contraintes, mais travailler dans la musique est un privilège, et j’aime travailler. Alors que nous sommes dans la préparation d’un spectacle il faut apprendre une autre partition ou même plusieurs. Etant directeur de l’Ensemble Symphonique de Neuchâtel j’ai, en plus de l’artistique, un travail administratif. Neuchâtel représente pour moi en temps, un quart de mes activités. Mais j’essaie de tout maintenir et, même si le temps libre m’est compté, le piano fait partie de mes priorités, selon les périodes bien sûr.
Vous avez dirigé plusieurs ouvrages de musique française “le Portrait de Manon”, “Carmen”, “Les Pêcheurs de perles”, “Hérodiade”, “Pelléas et Mélisande”, “La Reine de Saba”, Werther”, Aimez-vous particulièrement cette musique, ce style ?
Je ne me considère pas comme un spécialiste de la musique française mais, ayant dirigé maintenant certains opéras français, on pense très souvent à moi pour ce répertoire et je dois dire que cela me fait plaisir car sans être fermé aux autres musiques, bien au contraire, je me sens, en tant que français un peu investi d’une mission : faire rayonner la musique française. C’est véritablement de la grande musique et c’est ma musique ! Le répertoire français semblait un peu endormi, mais il revient sur le devant de la scène, si je puis dire, grâce à certains directeurs de théâtres, en premier lieu Maurice Xiberras à l’opéra de Marseille, qui aime profondément ce répertoire et n’hésite pas à prendre des risques en ressortant certaines partitions oubliées tel “Le portrait de Manon”. Lorsque je dirige ces ouvrages, je fais aussi un grand travail sur la prononciation avec les chanteurs car si la musique française a son style, ses codes, la prononciation demande une grande exigence pour la fluidité, les respirations ou l’accent sur certaines notes ; il est très difficile de chanter en français car la place de la voix n’est pas toujours la même que lorsque l’on chante en italien par exemple. Et, si l’on veut défendre la musique française, il est primordial d’en conserver le style afin qu’il ne se perde pas. Vous voyez, si je dirige ce répertoire, c’est aussi par plaisir.
Qu’est-ce qui vous procure le plus de joies dans la direction d’une œuvre, l’œuvre elle-même, la production, l’orchestre que vous dirigez ?
Tout à la fois sans doute. Ce que j’aime dans l’opéra c’est la collaboration, orchestre et production. C’est un travail collectif qui implique aussi la technique, les lumières, les changements de décors mais, lors des représentations, ne reste à la barre que le chef d’orchestre qui doit fédérer et rendre cette cohérence entre plateau et orchestre. C’est fascinant si l’on y réfléchit bien. Et, si vous me demandez quelle est l’œuvre que je préfère, c’est sans aucun doute celle que je dirige sur le moment, c’est une implication totale. Et aujourd’hui, c’est “Werther”.
Y-a-t-il une approche particulière avec les différents orchestres ?
Oui, tout à fait. Et, cela peut paraître étrange, mais chaque orchestre a un caractère particulier : le sien, auquel il faut penser lorsque l’on est sur le podium. Je ne dirais qu’il faut s’adapter, je dirais plutôt qu’il y a différentes façons d’aborder les musiciens. Ils sont toujours en attente et il faut que le courant passe. Et cela vient du chef d’orchestre. Ceci dit il y a aussi les conditions de travail. Par exemple, en Allemagne l’on répète moins, il ne faut donc pas perdre de temps et aller à l’essentiel. D’ailleurs, les musiciens n’aiment pas que le chef d’orchestre perde du temps ; et cela est une constante chez les musiciens du monde entier. Il faut rassembler, c’est une responsabilité mais c’est aussi un grand travail psychologique.
Vous êtes encore très jeune pour un chef d’orchestre, peut-on parler de votre plus grande joie ou d’une déception ?
Comme tout le monde j’ai dû avoir quelques déceptions mais je n’y pense pas, je laisse cela derrière moi. C’est ma façon d’avancer car pour moi, chaque spectacle est une joie. Une représentation a quelque chose de magique et le moment présent efface tout le reste.
Trouvez-vous que le monde de la musique a changé et vous semble-t-il qu’il était plus simple de programmer des opéras il y a quelques années ? Avez-vous quelques craintes à ce sujet ?
Je suis un peu jeune et je n’ai pas assez de recul pour vraiment apprécier les changements, l’évolution, survenus dans le monde musical ou celui de l’opéra. Mais tout évolue, tout change, il faut s’adapter et avant tout faire des efforts pour conserver et renouveler le public. Surtout après cette terrible période de covid où tout semblait s’être arrêté. Deux ans c’est très long, il faut absolument que le public retrouve ses anciens réflexes et qu’il retrouve le chemin des théâtres. Certains, heureusement, l’ont déjà fait, d’autres ont encore quelques craintes. Mais je pense que le spectacle vivant gardera toujours son attrait, un attrait qui vient de l’antiquité. Il faut simplement proposer des spectacles attrayants. Le problème majeur à mon avis est le manque d’argent. Monter un opéra coûte cher et même avec des salles pleines, les théâtres sont toujours déficitaires. “Werther” à l’opéra de Marseille sera le premier spectacle d’après confinement où l’on peut venir sans masque et sans pass vaccinal. Nous espérons ne jamais revenir en arrière. Soyons optimistes. Qui a dit ” De la musique avant toute chose…” ?
Peut-on parler de vos projets ?
Mais oui, volontiers. La semaine prochaine un récital à Neuchâtel avec la soprano Patrizia Ciofi accompagnée par mon orchestre l’Ensemble Symphonique de Neuchâtel. En mai, à Neuchâtel toujours et pour leur premier opéra “Pelléas et Mélisande” de Claude Debussy et à Zurich “Peer Gynt”, le baller d’Edvard Grieg, puis “Le Comte Ory” de Gioacchino Rossini en janvier. “Les Pêcheurs de perles” au Staatsoper de Berlin en juin, “Faust” à l’Opéra de Québec où Jean-François Lapointe a été nommé à la direction artistique, puis le Capitole de Toulouse, Francfort, et pourquoi pas Marseille ? Mais chut… Diriger un théâtre d’opéra me tenterait beaucoup, plus tard.

Merci beaucoup maestro pour cet échange à partager avec les lecteurs de GBopera alors que vous dirigez “Werther” qui obtient un magnifique succès.