Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2022
Orchestre Philharmonique de Radio France
Chœur de Radio France
Direction musicale Barbara Hannigan
Chef de chœur Maria Forsström
Violon Christian Tetzlaff
Soprano Johanna Wallroth
Mezzo-soprano Adanya Dunn
Ténor Charles Sy
Basse Yannis François
Alban Berg: Concerto pour violon et orchestre “A la mémoire d’un ange”; Wolfgang Amadeus Mozart: Requiem en ré mineur, K. 626
Aix-en-Provence le 8 avril 2022
Xème édition et toujours le même succès pour le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence 2022. Programmation superbe et public toujours au rendez-vous malgré deux années en suspension pour cause de pandémie. Par quelques mots, Dominique Bluzet, directeur exécutif du festival, allait dédier cette édition au peuple ukrainien ainsi qu’à tous les artistes qui souffrent de ce conflit ; et (mais y-a-t-il des hasards ? ) le programme particulièrement choisi de ce concert allait entrer en résonnance avec l’actualité. En commençant le concert par un chant ukrainien a cappella de Kyrylo Stetsenko (J’étais debout et j’écoutais le printemps…) Barbara Hannigan chef d’orchestre mais aussi soprano envoyait des harmonies sensibles et célestes vers ce peuple en souffrance. Suivait le concerto pour violon et orchestre, assez peu joué, d’Alban Berg intitulé “A la mémoire d’un ange”. Un concerto sous forme de défit pour le compositeur qui allait mélanger écriture tonale et dodécaphonique ; sorte de requiem composé pour la mort de la jeune Mutzi, fille d’Alma Mahler et de Walter Gropius. Pour interpréter ce concerto, le violoniste Christian Tetzlaff allait faire résonner d’une façon très particulière son violon Peter Greiner, de facture allemande. Une recherche spirituelle dans les sons qui, même dans les phrases puissantes, garderont cette intériorité un peu voilée. Les notes à vide jouées en quintes par un long archet au son soutenu répondent à la clarinette et reviendront en leitmotiv. Le premier mouvement nous parle de la vie de la jeune fille, de son enfance, de ses joies mais toujours dans un style délicat sur une musique où les dissonances apportent un certain décalage aux sentiments. Superbe interprétation où l’archet à la corde et un vibrato intense mais toujours maîtrisé laissent ressortir le tempérament du violoniste. L’archet se fait plus léger avec un staccato délicat ou plus soutenu dans une vitesse qui projette les sons. L’animation qui termine le premier mouvement nous entraîne dans un allegro où la joie cède la place à une lutte pour la vie. Tuba, cuivres grinçants, grosse caisse forcent le violoniste à un grand engagement ; quelques mesures sous forme de cadence où la justesse parfaite des doubles cordes rend la musique très tonale ; délicatesse des sons sur une belle longueur d’archet. Mais la mort rode, la lutte devient acharnée et, malgré la vigueur de son archet et sa vélocité de main gauche, le violoniste laisse les cuivres l’emporter dans un éclat diabolique. Nostalgie d’un choral de Bach et écriture pessimiste pour un solo de trombone ou un soli de cors qui laisse le violon dans un long monologue. Un Christian Tetzlaff qui a su trouver l’essence même de ce concerto par des sonorités profondes sans dureté, investi dans cette partition tout en restant extérieur par moments, comme si sa musique venait de plus haut, portée par les ailes d’un ange. Interprétation superbe sous la direction souple et sans baguette d’une Barbara Hannigan inspirée qui trouve les sons moelleux pour un orchestre qui soutient sans trop appuyer les aigus purs du violon. Le bis proposé par Christian Tetzlaff reste dans cette atmosphère évanescente avec le mouvement lent de cette Partita de Bach. Pureté de style, longueur d’archet sans forcer, jeu délicat dans des nuances sans préciosité et une belle continuité du phrasé. Moment de grâce, sur la pointe des pieds et un crin de l’archet pour ces notes en suspension jouées dans une grande finesse intellectuelle. Pour rester dans ce registre spirituel Le Requiem de Mozart, bien que terminé par deux de ses élèves, Mozart étant décédé avant d’avoir pu achever sa composition, nous entraîne dans le domaine des morts. Barbara Hannigan, qui dirige toujours sans baguette allie souplesse de direction et fermeté énergique, ne laissant aucune hésitation dans ses attaques. L’Orchestre de Radio France et l’admirable chœur de Radio France allaient nous procurer émotions et frissons. Sans être véritablement éclatant, le quatuor vocal : Johanna Wallroth soprano, Anadya Dunn mezzo-soprano, Charles Sy ténor, Yannis François basse, est homogène et dominé par la voix céleste de la soprano. Très en place dans les attaques et les intentions musicales, les solistes donnent très souvent la priorité au chœur qui tient ici une place prépondérante et sur qui reposent les plus grands éclats. Très bien préparé par Maria Forsstrom, chaque pupitre fait résonner sa partie avec ensemble et homogénéité des voix, nous faisant participer à la liturgie de cette messe de requiem dès l’Introitus majestueux. Le Kyrie, fort et incisif, le Dies irae engagé, la force du Rex tremende écrit pour faire trembler, les voix célestes du chœur de femmes pour un Confutatis intériorisé ou le Lacrimosa chanté comme un lamento douloureux, rendent une palette de couleurs et d’émotions. L’atmosphère lourde de l’Agnus Dei, d’une grande religiosité nous transporte dans un Communio final solide chanté en canon, pour un accord final puissant. Barbara Hannigan nous a donné ce soir une interprétation religieuse de ce requiem, évitant les éclats tonitruants qui briseraient ces atmosphères de début de concert se servant de la souplesse et des grandes possibilités de l’orchestre pour faire ressortir les belles sonorités de chaque pupitre ainsi que la musicalité de l’écriture. Une mention toute spéciale pour le magnifique solo de trombone qui accompagne la voix grave de la basse. Une ouverture de festival tout en nuances et religiosité, qui convient à merveille en ces temps troublés.