Opéra de Marseille: Frédéric Chaslin en concert

Opéra de Marseille, saison 2022/2023
Orchestre Philharmonique de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Frédéric Chaslin
Mezzo-soprano Aude Extrèmo

Récitante Violeta Sanchez
Gustav Mahler: Lieder eines fahrenden Gesellen ” Chants d’un Compagnon Errant “, Symphonie No1 “Titan”
Marseille, le 15 octobre 2022
Pour sa XVIIéme édition, le Festival des musiques interdites présentait à l’Opéra de Marseille la 1ère symphonie de Gustav Mahler dite “Titan” précédée par les “Chants d’un Compagnon Errant” – Lieder eines fahrenden Gesellen en première audition à l’Opéra de Marseille avec, en invitée d’honneur, Marina Mahler petite fille du compositeur. En fondant ce festival, Michel Pastore avait voulu mettre l’accent sur ces musiques considérées comme dégénérées et interdites d’écoute sous le régime nazi, musiques écrites par des compositeurs juifs. Si la musique de Gustav Mahler a été interdite un temps dans l’Europe occupée, il y a bien longtemps qu’elle a retrouvé le chemin des salles de concert avec le succès que l’on sait. “Chants d’un Compagnon Errant” est un cycle de 4 chants sur des poèmes dont trois sont écrits par le compositeur, le premier étant tiré du recueil “Des Knaben Wurderhorn”, recueil de poésie populaire. Nous sommes ici dans le post-romantisme allemand où ces poèmes prennent des airs autobiographiques, comme dans toute la musique de Gustav Mahler. Nous retrouvons la nostalgie d’un paradis perdu, la douleur, l’ironie même dans ce voyage sans but où la nature est omniprésente mais aussi une certaine sérénité, un certain apaisement. Si ces chants étaient à l’origine écrits pour une voix d’homme, c’est ici la voix chaleureuse et profonde de la mezzo-soprano Aude Extrèmo qui nous entraînera par les chemins et vers un sommeil apaisé sous un grand tilleul. Une sorte de mise en espace intercale chants et poèmes, déclamés par la voix chaude et l’interprétation intériorisée de la récitante Violeta Sanchez. Deux voix sensibles qui s’accordent et maintiennent l’auditeur dans des atmosphères un peu irréelles malgré une musique très présente mais mesurée. Avec beaucoup de nuances et dans un timbre grave, la mezzo-soprano alterne rythmes, force, puissance et lamentations avec sobriété dans un phrasé toujours musical. Sa grande technique lui permet les inflexions de voix qui suivent le poème dans ce cheminement physique et intérieur. Une voix qui transporte. C’est avec une grande musicalité aussi que l’Orchestre Philharmonique de l’Opéra de Marseille, dirigé par Frédéric Chaslin, accompagne cette voix tout en faisant ressortir les intentions du compositeur dans cette narration poétique mettant en évidence les couleurs des instruments dans des tempi choisis aux ralentis bien amenés. La mélancolie du violon solo laisse place aux violons plus joyeux ou à un orchestre puissant sans dureté ; tension, bruissement des violons vers une marche funèbre lente et musicale où harpe et timbales amènent la tristesse qui s’éloigne peu à peu sur des sons de flûtes qui s’éteignent. Une grande homogénéité des couleurs dans un calme intérieur sous une baguette claire et souple qui sait conserver toute la nostalgie contenue dans ces poèmes. La 1ère symphonie “Titan” est enchaînée pour ne pas rompre la magie de la musique. L’on retrouve ici tout ce qui caractérise la musique de Gustav Mahler, le côté bucolique, parfois folklorique mais aussi les doutes et les changements d’humeur de cette âme torturée. Cette symphonie paraît être écrite au gré des impulsions du compositeur ; changements de tempi, d’atmosphères, comme des séquences qui surgiraient et s’imposeraient. Les quatre mouvements de cette symphonie monumentale – pour ne pas dire avec un peu de facilité – titanesque, commencent sur les notes tenues et mystérieuses des violons mais les trompettes de coulisses et le “coucou” de la clarinette nous emmènent rapidement dans un village aux chants joyeux. Chaque instrument concourt aux descriptions dans une interprétation intense et magistrale, agitato des violons mais souplesse du phrasé, chant des oiseaux de la flûte et du piccolo qui laisse place au tuba inquiétant et à l’éclat des cuivres. Dans un tempo allant une danse paysanne s’appuie sur les solides contrebasses. Ce que l’on retient c’est la souplesse de l’orchestre dans ces nombreux changements et les sonorités des instruments qui ressortent, tel cet appel du cor. Les couleurs se fondent dans les atmosphères, la timbale piano déroule un tapis au solo de la contrebasse en sourdine pour une comptine (Frère Jacques) comme un souvenir d’enfance, toujours autobiographique, reprise par le basson et qui passe d’instrument en instrument dans un tempo lourd. La mélancolie est chassée pas un éclair de lumière et Mahler semble hésiter entre joie et tristesse dans ses couleurs particulières. Mais si le dernier mouvement laisse entrevoir un certain mystère et des phrases langoureuses jouées par les violons comme un espoir qui renaît, ce dernier mouvement est comme une démesure avec l’éclat des trombones et des timbales terrifiantes, bases sur lesquelles, avec l’appui marqué des contrebasses, toute l’architecture musicale est posée. Les sentiments de cette âme tourmentée s’entrecroisent sans sembler vraiment suivre une direction, cri avec ce pupitre d’altos sonore et incisif, souffrance, joie ? Eclat des cymbales, des trompettes triomphales dans une marche enfin apaisée. Cors bouchés pavillons relevés, quatuor aux archets rythmés et acérés où certains thèmes reviennent comme des souvenirs qui ne veulent pas partir, mais éclat de joie qui s’impose avec force dans un mode majeur. Cors, trompette et trombone debout dans un jaillissement des sonorités sans saturer les sons. Puissance extraordinaire dans cette symphonie qui demande 7 cors, 5 trompettes, 4 trombones et tuba pour des cuivres qui ont uni leurs sonorités sans écraser le reste de l’orchestre. Des Bravi à n’en plus finir… Mais moment de calme pour terminer sur une note apaisée avec le retour du dernier lied et son sommeil sous le tilleul. Un concert à ne pas manquer, digne des plus grandes salles, avec un orchestre qui s’est surpassé porté par la musique monumentale de Gustav Mahler, un orchestre aussi beau à voir jouer que magnifique à écouter. Qu’il nous soit permis de revenir sur notre déception lors de l’ouverture du Festival d’Aix -en-Provence cet été à l’écoute de la 2ème symphonie du même Mahler “Résurrection” où l’orchestre, relégué dans la fosse ne laissait voir que la moitié des musiciens et rien du chef d’orchestre la scène étant un terrain vague où l’on déterrait des cadavres. Un grand bravo à Frédéric Chaslin qui a su, sans effets de baguette inutile, conduire l’orchestre à travers les sentiments du compositeur avec une grande compréhension de sa musique et des instruments, les laissant sonner ou murmurer dans des couleurs mélancoliques. Superbe soirée !