Marseille, Opèra Municipal:”Elisabetta, regina d’Inghilterra”

Marseille, opéra municipal, saison 2022/2023
“ELISABETTA, REGINA D’INGHILTERRA”
Opéra en 2 actes, livret de Giovanni Schmidt d’après la pièce Il paggio di Leicester de Carlo Federici
Musique de Gioachino Rossini
Elisabetta KARINE DESHAYES
Matilde GIULIANA GIANFALDONI
Enrico FLORIANE HASLER
Leicester JULIEN DRAN
Norfolk RUZIL GATIN
Guglielmo SAMY CAMPS
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Roberto Rizzi Brignoli
Chef du Chœur Emmanuel Trenque
Marseille, le 10 novembre 2022
Musique pure en cette soirée du 10 novembre à l’Opéra de Marseille pour cette œuvre de Gioachino Rossini jamais encore programmée sur cette scène. C’est sans mise en scène, en version concertante, que nous écoutons, dégustons devrions-nous dire, cet ouvrage de jeunesse du compositeur italien “Elisabetta regina d’inghilterra”. Nul besoin de mise en scène quand la musique est à ce point défendue ; émotions et bonheur musical seront au rendez-vous. Gioachino Rossini n’a que 23 ans lorsqu’il compose cet opéra, mais son style est déjà là et il compte bien l’imposer à Naples. Séduit par la voix d’Isabella Colbran qu’il épousera plus tard, il n’hésite pas à la mettre en valeur dans le rôle d’Elisabetta où vocalises et ornementations chantées dans une voix large captivent le public. Rossini est un compositeur prolifique qui compose, très vite, une musique reconnaissable entre toutes. Il commence très tôt sa carrière et l’arrête après avoir composé près de 40 opéras alors qu’il n’a que 37 ans. Il écrira encore quelques pages de musique sacrée dont le “Stabat Mater” ou sa “Petite messe”. Surnommé Le Cygne de Pesaro, nom de son lieu de naissance, il est aussi le roi du réemploi. Une phrase, un air, un thème lui plaisent, il n’hésite pas à les utiliser à nouveau et même plusieurs fois. Nous en avons ici une preuve flagrante et dès l’ouverture ; n’est-ce pas celle du “Barbier de Séville” que nous écoutons là, et plus loin l’Air de Rosina ” Una voce poco fa” ? Tout à fait. La mélodie lui plait, il l’écrit en 1813 pour son opéra “Aureliano in Palmira”, l’utilise dans “Elisabetta regina d’inghilterra” mais c’est l’ouverture du “Barbier de Séville” qui la rendra célèbre. Sa facilité d’écriture le pousserait-elle à la paresse ? C’est ce qu’il se dit. “Elisabetta regina d’inghilterra” qui nous réunit ce soir est le premier des neufs opéras que Rossini écrit pour le San Carlo de Naples. Orchestration fouillée et écriture vocale éblouissante. Souvent déçu par les mises en scène, le public actuel s’est habitué à ces versions concertantes et prend peu à peu plaisir à n’écouter que la musique et les voix. Un plaisir différent mais beaucoup plus intense avec des plateaux qui, le plus souvent, atteignent des sommets d’excellence. C’est encore le cas ce soir. Six solistes seulement, mais six chanteurs remarquables dominés par une Karine Deshayes en majesté encore auréolée du succès obtenu au Festival de Pesaro en 2021. Elle est cette reine victorieuse, amoureuse, trahie, mais d’une magnanimité souveraine et nul n’est besoin de mise en scène pour exprimer ces divers sentiments, la musique, la technique et l’expression aussi bien musicale que celle du visage nous font passer de l’allégresse à la colère ou à la joie du pardon. La mezzo-soprano française passe avec facilité de ce registre à celui de soprano, preuve nous en est donnée ici. La rondeur et la couleur de son timbre font merveille dans des prises de notes délicates. Les difficultés ne manquent pas dans cette écriture mais la technique de Karine Deshayes est telle que tout paraît aller de soi. Aigus lumineux, sauts d’intervalles, respirations musicales, légèreté des notes piquées, graves sonores et timbrés, mais élégance du phrasé. C’est avec un grand naturel et sur une belle longueur de souffle que s’envolent vocalises et ornementations. Madame Deshayes nous donne ici une leçon de belcanto. Elle est aussi à l’aise dans son échange musclé avec Norfolk qu’autoritaire ou plus sensible dans le duo avec Matilda, d’une extrême justesse dans deux timbres qui s’accordent, que dans un délicat legato sur les pizzicati du quatuor. Ovation d’un public conquis pour cette grande dame du chant lyrique. Giuliana Gianfaldoni nous offre une Matilde tout en délicatesse ou fermeté. Femme amoureuse ou femme jalouse, la soprano italienne laisse apparaître ses sentiments par son investissement mais aussi dans l’expression de sa voix qu’elle module et projette à l’envi. Une voix qui laisse ressortir les harmoniques, permet des vocalises agiles et des aigus puissants dans un bon maintien du souffle. La chaleur du timbre, dans un style très rossinien, laisse apprécier un legato musical pour des duos sensibles avec Leicester ou Elisabetta dans des timbres qui s’accordent et une même esthétique musicale. Grande justesse aussi pour un trio a capella. La voix colorée de la mezzo-soprano Floriane Hasler donne présence et relief au rôle d’Enrico et on aimerait l’écouter plus longuement tant la chaleur du timbre séduit. Une prestation tout de même très remarquée. Julien Dran interprète Leicester. Etonnant Julien Dran qui sait passer de Bellini (Les Capulets et les Montaigu – Tebaldo -) à Bizet (Les Pêcheurs de perles –Nadir-) à Mozart (L’Enlèvement au sérail –Belmonte –) ou Rossini ce soir, toujours dans un style parfait. Si nous l’apprécions tout particulièrement dans la musique française tant la connaissance de ce chant et sa voix claire y font merveille, l’interprétation de Leicester nous a séduits ainsi que le public. La voix s’est élargie et a gagné en puissance tout en gardant les qualités que nous apprécions chez le ténor français ; musicalité, intelligence de l’interprétation, diction projetée et cette solide technique qui lui procure aisance et souplesse. Ses aigus faciles nous séduisent autant que la sensibilité qu’il met dans son duo avec Matilda. Belle prestation où force et tendresse se conjuguent avec musicalité. Ruzil Gatin prête sa voix agile de ténor au fourbe Norfolk. Si d’entrée le timbre de sa voix au vibrato serré ainsi que les aigus un peu courts de souffle surprennent, on se laisse séduire par la justesse d’interprétation et la brillance dans le rythme et la projection des vocalises. Habitué des partitions de Rossini il en trouve le style faisant ressortir avec aisance les ornementations. Ténor vaillant, Ruzil Gatin sait être incisif avec des aigus clairs dans les récitatifs et musical dans les duos avec Leicester ou Elisabetta. Une prestation très applaudie. On remarque aussi avec plaisir le Guglielmo de Samy Camps, ténor à la voix posée et sonore qui sait s’imposer dans chacune de ses interventions avec justesse et détermination. Remarquable aussi le Chœur de l’Opéra de Marseille bien préparé par Emmanuel Trenque. Personnage à part entière qui, dans cette version concertante, fait penser au chœur antique avec des voix d’hommes incisives et homogènes ou un chœur de voix mixtes plus joyeux ou plus sensible. De longs applaudissements iront vers les artistes du chœur. Roberto Rizzi Brignoli qui dirigeait sans baguette allait coordonner plateau et orchestre. Une direction un peu instable par moments mais qui donnerait rythmes et brillance à un orchestre au mieux de sa forme pour la légèreté des cordes (joli solo de violoncelle) et la pertinence de l’harmonie avec soli des cors et ornementations délicates du soliste. Longues, très longues ovations pour cette représentation remarquable en tous points et qui a séduit un public de connaisseurs. Immense musicien, gourmet, gourmand, Gioachino Rossini laissera aussi quelques écrits culinaires alors, pourquoi ne pas aller déguster un “Tournedos Rossini” à l’issue de la représentation ?