Opéra de Marseille: “Carmen”

Marseille, Opéra municipal, saison 2022/2023
“CARMEN”
Opéra en 4 actes, livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy d’après la nouvelle de Prosper Mérimée
Musique de Georges Bizet
Carmen HELOÏSE MAS
Micaëla ALEXANDRA MARCELLIER
Frasquita CHARLOTTE DESPAUX
Mercédès MARIE KALININE
Une marchande CHRISTINE TUMBARELLO
Don José AMADI LAGHA
Escamillo JEAN-FRANCOIS LAPOINTE
Moralès JEAN-GABRIEL SAINT-MARTIN
Zuniga GILEN GOICOECHEA
Le Dancaïre OLIVIER GRAND
Le Remendado MARC LARCHER
Lilas Pastia FRANK T’HEZAN
Un bohémien TOMAZ HAJOK
Danseuse IRENE RODRIGUEZ OLIVERA
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Victorien Vanoosten
Chef de Chœur Emmanuel Trenque
Maîtrise des Bouches-du-Rhône, Pôle Art Vocal
Direction musicale et artistique Samuel Coquard
Chef de Chœur Emmanuel Trenque
Mise en scène Jean-Louis Grinda
Décors Rudy Sabounghi
Costumes Rudy Sabounghi et Françoise Raybaud Pace
Lumières Laurent Castaingt
Chorégraphie Eugénie Andrin
Vidéos Gabriel Grinda
Coproduction Opéra de Marseille / Théâtre du Capitole de Toulouse / Opéra de Monte-Carlo
Marseille, le 18 février 2023
Voici plus de dix ans que Carmen n’était plus à l’affiche à l’Opéra de Marseille. Voilà chose faite et autant dire que les cinq représentations affichaient complet depuis plusieurs semaines déjà. Et pourtant ! Un déluge de cris, de sifflets accueillit l’ouvrage pour sa création le 3 mars 1875 à l’Opéra-comique. Georges Bizet ne s’en remettra pas, ne verra jamais le succès planétaire de son opéra et mourut dans la nuit du 2 au 3 juin 1875 à l’âge de 36 ans seulement. S’il eut d’horribles détracteurs, il eut aussi des soutiens, Vincent d’Indy, Camille Saint-Saëns, Tchaïkovski même qui prophétisait alors ; “Je suis persuadé que dans 10 ans Carmen sera l’opéra le plus populaire du monde entier. La mise en scène de cette production est confiée à Jean-Louis Grinda. Oserons-nous dire que ce metteur en scène nous avait habitué à mieux et que nous n’adhérons que peu à son propos ? Certes, pas de revisite ni de détournement comme pour l’ouvrage présenté au Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence en 2017 dans une interprétation de Dmitri Tcherniakov. Rien que de très classique ici mais, avec ce souci d’effacer le plus possibles les espagnolades nous nous retrouvons devant un spectacle assez terne où la flamboyance a été gommée ; reste une certaine violence. Et pourtant, Séville est la flamboyance de la lumière où le soleil est la première des violences. Les lumières justement : celles de Laurent Castaingt. Des lumières dorées, plus ou moins sombres qui finissent par lasser, ou des couleurs bleutées dans la taverne et dans la montagne au crépuscule, animées par le feu des braseros. Ces lumières sont présentes dès l’ouverture car, c’est actuellement la mode, les ouvertures ne sont plus réservées à l’orchestre, à son succès. Non ! Les metteurs en scène les investissent. Qui se souvient de l’énorme succès qu’avait Georges Sébastian lorsqu’il dirigeait la brillante, l’éclatante ouverture de Carmen et qu’il faisait saluer l’orchestre ? Ici, donc, la scène nous montre un résumé de l’ouvrage sur la musique que l’on n’écoute plus. Carmen meurt, Don José erre, se souvient du baiser de Carmen donné à Escamillo… Nous savons donc tout, il ne nous resterait qu’à partir. Le décor conçu par Rudy Sabounghi se veut original; deux grands panneaux convexes manipulés à vue investissent la scène (référence aux arènes sans doute) au fond, un mur en pierre soutient une large porte coulissante, entrée de la manufacture de tabac ou entrée des arènes. Les vidéos de Gabriel Grinda en projection sur le mur nous permettent de suivre la corrida. L’entrée des cuadrillas, des picadores et le duel final taureau matador.Nous attendions le coup d’épée fatal alors que Carmen meurt, mais cette violence nous sera épargnée. Merci la défense animale! Quant à Carmen, il faudra attendre la mise en scène de Leo Muscato donnée à Florence en 2018 pour que ce soit Don José qui tombe sous ses coups. Ce n’est certes pas le point de vue de Jean-Louis Grinda qui voit en Don José un macho irascible, violent, incapable de supporter une rupture qui tue une jeune fille de 18 ans simplement coupable de tomber amoureuse un peu trop souvent et qui est tombée sur le mauvais numéro (nous dit le metteur en scène). Alors pourquoi ces poses lascives devant chaque homme, par innocence ou simple incohérence ? Les grands panneaux tournent, tournent… et occupent la scène occultant les mouvements de la foule, la scindant en deux groupes statiques. Visuellement le troisième acte est sans doute le plus réussi. Un certain mystère, une certaine tension et un bon réalisme. Le décor se referme au dernier acte sur Irène Rodriguez Olivera qui danse un flamenco d’une rare perfection. Les costumes de Rudy Sabounghi et Françoise Raybaud Pace n’ont rien de très charmant, mises à part les deux robes espagnoles de Carmen et celle de la danseuse. Mélange des genres avec des costumes assez hétéroclites reflétant l’époque de la composition. Chapeaux melons et autres pour les hommes du chœur ; les femmes, ayant troqué les éventails contre des ombrelles de dentelle colorée nous donnent l’impression d’une promenade à Deauville, bien loin d’une entrée pour la corrida. Héloïse Mas est une Carmen très investie. Du style, de l’allure, une grande compréhension du personnage dans une belle voix appropriée qui peut prendre des teintes tragiques. Dès la habanera du premier acte, son timbre chaud et agréable convainc et c’est avec sensualité qu’elle entame la séguedille dans un jeu naturel et des aigus assurés. Aussi à l’aise dans la colère que dans le dramatique trio des cartes, c’est avec puissance et témérité qu’Héloïse Mas affronte Don José dans une belle diction projetée. Une très belle prestation vocale et scénique. Alexandra Marcellier prête sa voix de soprano à Micaëla. Si elle paraît un peu hésitante aux premières notes, sa voix prend peu à peu de l’assurance et c’est avec tendresse et fraîcheur qu’elle nous propose un joli duo avec Don José. Touchante aussi au troisième acte alors qu’elle chante “Je dis que rien ne m’épouvante…” avec sensibilité et musicalité accompagnée par un solo de cor au son velouté. Les nuances donnent du relief à son chant faisant ressortir la pureté des notes piano ou des aigus affirmés dans un vibrato agréable. Charlotte Despaux est une Frasquita sonore dont la voix de soprano passe sans forcer dans une bonne diction. Rythme et projection pour un trio équilibré avec Carmen et la Mercédès de Marie kalinine dont la voix voluptueuse de mezzo-soprano résonne avec naturel. Amadi Lagha est un Don José très crédible. Affligé d’une laryngite pendant les répétitions, il avait été remplacé pour la première. Nous le retrouvons avec plaisir ce soir. Si les premières notes nous semblent peu assurées, sa voix revient telle que nous l’avions entendue à Toulon en 2019 alors qu’il interprétait Calaf (Turandot), une voix claire, vaillante et d’une grande crédibilité. La sincérité qu’il met dans son jeu module sa voix et lui donne une réelle authenticité. Ses aigus projetés sans forcer restent colorés et timbrés jusque dans la demi-teinte. Les belles nuances dans l’air très attendu du deuxième acte “La fleur que tu m’avais jetée…” sur un joli solo de clarinette le rendent émouvant. Solide dans la colère ou ses accès de jalousie, la tension contenue dans sa voix donne le frisson. Amadi Lagha est ici un Don José qui rend le rôle touchant, poignant ou pathétique avec de sérieux moyens vocaux. Jean-François Lapointe est un Escamillo à la belle prestance et aux aigus généreux. Si sa voix perd de son homogénéité dans les changements de tessitures rendant la ligne musicale moins fluide et ses graves plus faibles, c’est avec beaucoup de fougue et d’investissement que le baryton québécois se glisse dans l’habit de lumière du toréador et prend le rôle à bras le corps. Deux autres belles voix graves, celles de Jean-Gabriel Saint-Martin et Gilen Goicoechea dans les rôles respectifs de  Moralès et Zuniga. Voix posées et sonores dans un jeu très convaincant qui participe à l’équilibre de ce plateau.Le ténor Marc Larcher et le baryton Olivier GrandLe Remendado et Le Dancaïre sont d’une grande précision dans le quintette du deuxième acte, mettant un peu de gaîté dans tout ce drame. Le Chœur de l’Opéra de Marseille, bien préparé par Emmanuel Trenque est d’une grande précision aussi, faisant résonner les voix d’hommes, ou celles des femmes dans une bataille rangée. Chœur des voix mixtes et homogènes pour une foule en liesse. Belle prestation des enfants de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône pour leur engagement scénique et vocal. Victorien Vanoosten était à la baguette réussissant à canaliser l’énergie contenue dans l’ouvrage. Les sonorités de l’Orchestre résonnent dans une belle homogénéité, celles des différents pupitres de cordes avec légèreté ou pour des envolées plus lyriques, celles des trompettes pour des sonneries sonores ou le bel ensemble de la petite harmonie. Brillante ouverture remarquablement écrite et interprétée. Une Carmen très applaudie par un public enthousiaste. Photo Christian Dresse