Aix-en-Provence, Festival de Pâques 2023: Ivan Fischer & Renaud Capuçon en concert

Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, Saison 2023
Budapest Festival Orchestra
Direction musicale Ivan Fischer
Violon Renaud Capuçon
Ernö Dohnanyi: Minutes symphoniques pour orchestre, op. 36
Béla Bartok:  Concerto pour violon n°1, Sz 36; Richard Strauss: “Don Juan”, op.20; “Salomé”, op. 54 (danse des sept voiles), “Till Eulenspiegel Lustige Streiche” (Till l’Espiègle) op.28
Aix-en-Provence, le 3 avril 2022
Dix ans déjà que le Festival de Pâques a vu le jour. Un désir, un challenge, mais avec tant de musicalité et d’envie de partage que malgré les 2 années terribles de covid, le nombre de spectateurs a pratiquement doublé. Après un premier concert dédié aux musiques de films, Renaud Capuçon revient jouer le Concerto No1 pour violon et orchestre de Béla Bartok accompagné par Ivan Fischer à la tête du Budapest Festival Orchestra qu’il a fondé en 1983. Concert de musiques germano-hongroises. Avec ses Minutes symphoniques pour orchestre, Ernö Dohnanyi apporte ici les accents d’une page musicale qui fait ressortir la sensibilité du folklore hongrois. Musique enlevée, légère pour une petite harmonie précise qui passe tel un souffle sur le tapis sonore déroulé par des cordes moelleuses. Joie, envolées sur le bariolage des clarinettes, mais mélancolie aussi avec les sons plus feutrés du cor anglais. Des phrases au tempo élargi passent en vagues sur une mer apaisée dans cette musique imagée alors que les contrebasses donnent rythme et force à un passage sonore ; et la nostalgie du hautbois revient, ponctuée par les entrées de trombones ou les notes perlées du clavier. D’une baguette incisive le chef d’orchestre fait ressortir le spiccato des violons pour une danse hongroise endiablée qui fait tourbillonner les danseurs dans un grand fortissimo. Chef solaire, Ivan Fischer a dirigé ces Minutes symphoniques avec dynamisme et sensibilité, faisant ressortir les moindres couleurs dcette musique qu’il connaît si bien. Plus intense est le Concerto No1 de Béla Bartok composé en 1908 alors qu’il n’a que 26 ans. Une œuvre d’amour non partagé ? Dédié à la violoniste Stefi Geyer dont il était amoureux, celle-ci n’interprétera jamais ce concerto. Renaud Capuçon nous en donne ici une version très intense faisant vibrer les cordes de son Guarneri avec beaucoup de chaleur. Béla Bartok, qui a sans doute subi les influences de Richard Wagner, de Richard Strauss ou même de la nouvelle école viennoise, a su garder son indépendance musicale et a toujours écrit une musique sans compromis. Tel était son caractère. Ce concerto ne comporte que 2 mouvements. C’est une sorte de portrait de la jeune fille en 2 caractères avec la luminosité et le lyrisme d’une œuvre impressionniste aux harmonies audacieuses. Dès les premières notes introduisant une longue phrase pour violon seul, le soliste nous livre un souvenir lointain porté par l’intensité du vibrato. Engagé dans son jeu, le violoniste projette ses sentiments, intérieurs ou plus extériorisés, avec cette technique d’archet qui lui permet toutes les libertés. Soutenu par un orchestre à l’écoute, il laisse résonner une phrase lyrique aux démanchés assurés ou soutient un pianissimo lumineux, facettes multiples de cette jeune fille. Nous retrouvons la solidité de main gauche, la facilité d’archet qui court sur les cordes semblant passer d’un sentiment à un autre avec allégresse et vélocité ou une aérienne nostalgie. Ce concerto fait de contrastes d’intentions et de nuances permet au soliste de déployer les aspects d’un tempérament fougueux mais maîtrisé aussi laissant chanter la chanterelle, cette corde aiguë, qui garde sa pureté de son sous la vitesse d’archet qui donne une impression de facilité. Superbe interprétation ! C’est avec maestria qu’Ivan Fischer a conduit cet orchestre magnifique, faisant résonner chaque pupitre des violoncelles mystérieux au piccolo humoristique. La deuxième partie de ce concert était consacrée à la musique de Richard Strauss. Son Don Juan tout d’abord, l’une de ses premières pièces symphoniques, composée en 1887 avant ses opéras majeurs. Richard Strauss, dernier des romantiques allemands a une forme d’écriture somptueuse qui ne ressemble pas à celle de Richard Wagner, elle est beaucoup plus intellectuelle, beaucoup plus fouillée. Le compositeur ne recherche jamais l’effet pour l’effet et il n’y a rien de plus jouissif pour un musicien que d’interpréter sa musique ; cela est simplement dû à la place des notes, à la difficulté de l’écriture et au choix des harmonies. Richard Strauss n’a que 25 ans lorsqu’il compose ce Don Juan qui remportera un grand succès. Ce n’est pas l’opéra de Mozart qui l’inspire, mais plutôt les vers du poète Nikolaus Landau décrivant la personnalité du héros, ses passions et finalement sa mort. Dès l’attaque fulgurante des cordes, le caractère flamboyant du personnage nous frappe de plein fouet. Les changements sont précis, avec un violon solo presque romantique ou des cordes aux sons suaves faisant référence à certaines conquêtes de ce grand séducteur. Ivan Fischer sculpte les phrases, soutenant les sons de sa main gauche expressive, mais faisant avancer le tempo d’une baguette énergique ou plus nuancée. Un accelerando et Don Juan est repris par ses démons. Belle unité des sonorités dans les phrases lyriques mais aussi dans la puissance des cuivres qui ne saturent jamais les sons. Hautbois lumineux comme en suspension, cors sensibles, clarinette en contre chant piano dans un moment d’apaisement surpris par l’appel des cors. Les atmosphères changent mais la magie reste. Tout le génie de Strauss réside dans ces changements multiples et spontanés. L’agitation revient dans une sorte de joie sur des rythmes à l’ensemble parfait. Lumière, éclats impressionnants enlevés par la gestuelle du chef qui apporte le relief. Le ciel semble s’ouvrir dans une certaine amplitude. Le crescendo s’arrête et laisse place au mystère, à la plainte de la mort de Don Juan. Si Don Juan nous a quittés, la jeune de Salomé prend sa place. Cette composition plus tardive est un choc musical et théâtral. Cet opéra sera représenté pour la première fois à Dresde le 9 décembre 1905 dans le théâtre qui est maintenant le Semperoper. Un choc mais un succès enveloppé d’un parfum de scandale. Rien de léger à part les voiles dans cette danse, mais une grande puissance émotionnelle avec des notes aux sons acidulés qui se frottent ou l’orientalisme du hautbois sur les rythmes obsessionnels des alti. Ivan Fischer emmène l’orchestre sur ces rythmes ternaires avec les sons au fond des temps. Dans cette écriture voluptueuse et suggestive qui alterne envolées, ondulation des violons et rallentando pour des sentiments exacerbés, Ivan Fischer, avec peu de gestes mais une grande précision, laisse monter la tension qui s’enflamme dans un agitato tourbillonnant jusqu’au cri du piccolo et du hautbois dans un immense fortissimo orchestral. La danseuse n’était pas là, mais on a pu suivre ses évolutions tant la sensualité était présente dans une tension toute straussienne. Admirable Ivan Fischer qui semble danser avec la musique. Plus léger, plus poétique et amusant aussi Till l’espiègle, ce petit bijou musical, que l’on suit dans ses farces pleines de malice. Richard Strauss, dont le père était corniste, n’a jamais caché son amour pour cet instrument capable de toutes les sonorités (appel des cors ou phrases sentimentales). Dans ce poème symphonique il sera donc le héros, doublé par la petite clarinette en mi bémol au son nasillard pour ses plus grandes facéties. Le choix est fait de placer les 4 cors devant l’orchestre pour un très bel effet. C’est d’ailleurs de cor solo qui ouvre le livre de ce conte par cette superbe phrase que tous les cornistes redoutent. Le rythme modéré s’anime au cours des aventures malicieuses de notre héros. Enorme chaos alors qu’il s’élance dans un marché renversant tous les étals, mais bruissements des violons entrant sur la pointe d’un pianissimo, mystère des violoncelles, légèreté de la flûte ou phrase des alti comme une danse. Till courtise des jeunes filles, se moque des philistins…Utilisant chaque instrument, Richard Strauss fait vivre ce personnage qui sera arrêté. Alors que tambour et timbales délivreront la sentence et l’enverront à la potence, la petite clarinette insolente prendra des accents nostalgiques. Part-il encore en sifflotant ? En trois pizzicati Till n’est plus, mais son âme s’envole sur une phrase langoureuse. Superbe concert superbe soliste, superbes musiciens et superbe chef ! Violon, contrebasse, clavier, batterie, un quatuor jazzy, ou un trio tzigane, violon, alto, contrebasse pour terminer ce concert de façon festive sur des musiques aux accents hongrois. Des moments appréciés et partagés par une salle conquise. Bravo !