Festival d’Aix-en-Provence 2023: “Die Dreigroschenoper”

Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché, saison 2023
“DIE DREIGROSCHENOPER” (L’Opera de quat’sous)
Pièce avec musique, en un prélude et huit tableaux, d’après “The Beggar’s Opera” de John Gay. Texte de Bertolt Brecht
Musique de Kurt Weill
Avec la troupe de la Comédie-Française
Celia Peachum VERONIQUE VELLA
Jenny ELSA LEPOIVRE
Jonathan Jeremiah Peachum CHRISTIAN HECQ
Robert, homme de Macheath et Smith NICOLAS LORMEAU
Brown BENJAMIN LAVERNHE
Macheath BIRANE BA
Lucy CLAÏNA CLAVARON
Polly Peachum MARIE OPPERT
Filch et Saul, homme de Macheat SEFA YEBOAH
Matthias, homme de Machneath JORDAN REZGUI
Jacob, homme de Macheath CEDRIC EECKHOUT
Orchestre Le Balcon
Chœur amateur Passerelles
Direction musicale Maxime Pascal
Chef de Chœur Philippe Franceschi
Adaptation et mise en scène Thomas Ostermeier
Scénographie Magda Willi
Costumes Florence von Gerkan
Lumières Urs Schönebaum
Dramaturgie & Collaboration artistique Elsa Leroy
Chorégraphie Johanna Lemke
Vidéo Sébastien Dupouey
Son Florent Derex
Aix-en-Provence, le 7 juillet 2023
UN OPERA DE QUAT’SOUS (DIE DREIGROSCHENOPER) qui ne vaut pas un seul groschen dans cette production! C’est un vent de renouveau qui souffle sur les 75 bougies du Festival d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence avec la programmation de L’opéra de quat’sous, l’anti-opéra de Bertolt Brecht, musique de Kurt Weill, pour l’ouverture de sa 75ème édition élaborée par Pierre Audi son directeur en poste depuis 2019. Casser les codes, et pourquoi pas ? En cette soirée du 7 juillet, c’est à la deuxième représentation que nous assistions et sans doute ce spectacle, qui avait demandé de très nombreuses répétitions, était-il bien rodé. Dès sa création à Berlin en 1928, cette pièce musicale mi-théâtre, mi-comédie musicale, mi-cabaret obtient un vif succès et sera jouée plus de 10 000 fois en cinq ans. Placée parmi les œuvres considérées comme dégénérées par le régime nazi, la pièce sera retirée des salles de spectacles, forçant même ses auteurs à quitter le pays. Reprenant l’œuvre écrite par John Gay, “The Beggar’s opera” en 1728, Bertolt Brecht situe L’opéra de quat’sous dans les bas-fonds de Londres, le quartier de Soho exactement, pendant l’ère victorienne. C’est une satire très grinçante de la société (faisant référence à la république de Weimar). Un couple, les Peachum, profite de la misère en exploitant les mendiants, vrais ou faux, un malfrat, Mack le Surineur, voudrait vivre comme un bourgeois, un haut fonctionnaire de police corrompu, Tiger Brown, protège Mack, son ami de jeunesse qu’il laissera tomber sous la menace et un bordel où la prostituée Jenny trahit son amant de cœur par jalousie contre de l’argent. Le décor est planté et tout ce joli monde investit la scène avec plus ou moins de bonheur dans la vision de Thomas Ostermeier, metteur en scène de théâtre, qui pour la première fois s’attaque à un opéra. La direction des acteurs est bien faite, millimétrée dans les gestes et les intentions mais cela ne suffit pas ; la “mayonnaise” ne prend pas et donne un spectacle de près de 2h30 sans entracte d’un réel ennui. La Troupe de la Comédie-Française joue et chante avec plus ou moins d’efficacité dans une sonorisation continuelle qui donne parfois des sons trop forts loin d’atteindre le but recherché. Il n’existait qu’une seule traduction française, Alexandre Pateau reprend le texte voulant l’actualiser. Un très grand travail est fait, avec des recherches sur les prononciations, les intonations, mais le texte parlé est parfois assez peu audible. Vouloir moderniser les mises en scène n’est pas toujours une réussite. Du Londres de la reine Victoria point, New York peut-être, avec des costumes qui pourraient dater de l’époque de la création de la pièce et encore… Sortie des bas-fonds de Londres, l’œuvre perd de son grinçant, de sa noirceur, de son cynisme (la graille avant la morale), du dramatique même selon Brecht. La mise en scène joue sur le burlesque, mais la misère n’a rien de burlesque même si c’est une façon de la faire passer plus facilement à la scène. Les ruptures et les décalages voulus par l’auteur sont présents mais manquent visuellement d’un fil conducteur. Dès la première complainte nous pensons aux cabarets berlinois, mais non, nous sommes immédiatement plongés dans le film “La bataille du siècle” avec Laurel et Hardy pour une séance de tartes à la crème lors du mariage de Polly et Macheath qui dure indéfiniment.Exit l’ambiance cabaret. La scénographie minimaliste de Magda Willi nous présente une scène noire, où un grand escalier en tubes métalliques (style revue) permet les évolutions des acteurs ainsi que la présentation de la potence au dernier tableau. Les lumières conçues par Urs Schönebaum jouent les atmosphères avec certains halos éclairant les personnages ou avec des couleurs rouge vif pour des moments forts. Les costumes imaginés par Florence Gerkan tentent de situer les personnages sans bien exploiter le contexte, ce que tente de faire Sébastien Dupouey avec des morceaux de vidéos de diverses époques. La Troupe du Français essaie de trouver un fil conducteur à ce récit mais n’y réussit pourtant pas. Les micros sur pieds ou pas sonorisent assez mal les acteurs les faisant quelquefois chanter trop fort, mais Il faut toutefois noter les très efficaces chorégraphies de Johanna LemkeMarie Oppert est une charmante Polly qui interprète d’une voix claire la chanson de Jenny-des-Pirates, ou avec plus de caractère le duo de la jalousie avec Lucy. La Celia Peachum de Véronique Vella possède l’autorité et la gouaille nécessaires au rôle, passant du duo avec Peachum à la Ballade de l’esclave des sens avec plus de force. Claïna Clavaron est une Lucy à la voix puissante et aux aigus stridents qui possède l’abattage nécessaire pour s’opposer aussi bien à Macheath qu’à Polly. Mais c’est sans doute la Jenny d’Elsa Lepoivre qui nous séduit le plus avec sa voix grave et son charme un brin mélancolique en duo avec Macheath ou dans sa chanson de SalomonBriane Ba est un Macheath séduisant et volage qui devient touchant dans la dernière Ballade des pendus de François Villon alors que Christian Hecq anime la scène avec son Peachum millimétré et sa gouaille de manipulateur et que le Brown de Benjamin Lavernhe, qui nous propose quelques pas de danse effrénée, joue sur ses sentiments et sa silhouette. L’on remarque aussi Nicolas Lormeau, Sefa Yeboa, Jordan Rezgui et Cédric Eeckhout dans leurs interprétations très justes. Le Chœur Passerelles bien préparé par Philippe Franceschi fait preuve d’un bel ensemble.Avec rythme et netteté Maxime Pascal dirigeait l’orchestre Le Balcon dans une orchestration revisitée avec des instruments électriques qui, nous semble-t-il, enlève le caractère intimiste du cabaret berlinois pour certaines chanson sans apporter une amélioration concrète à la partition de Kurt Weill. Il est étrange que cette œuvre, d’une grande portée politique et sociale, n’arrive pas à émouvoir, à faire réfléchir, sans doute cela vient-il du parti pris par le metteur en scène qui joue trop sur le côté burlesque. La potence ne servira pas et une Happy end est prévue grâce au couronnement de la reine. Une représentation qui nous laisse un peu dubitatifs par rapport à la somme de travail engagée par tous les artistes. Faudrait-il revoir cette œuvre dans l’esprit premier de Bertolt Brecht et Kurt Weill ? La question reste posée. Un spectacle diversement apprécié mais qui a eu du succès. Photo © Jean-Louis Fernandez