Opéra de Marseille: “Attila”

Marseille, Opéra municipal, saison 2023/2024
“ATTILA”
Opéra en 3 actes et un prologue, livret de Temistocle Solera, tiré de la tragédie de Zacharias Werner, Attila, König der Hunnen
Musique Giuseppe Verdi
Odabella CSILLA BOROSS
Attila ILDEBRANDO D’ARCANGELO
Ezio JUAN JESUS RODRIGUEZ
Foresto ANTONIO POLI
Le Pape Léon 1er LOUIS MORVAN
Uldino ARNAUD ROSTIN-MAGNIN
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Paolo Arrivabeni
Chef de Chœur Florent Mayet
Version concertante
Marseille, le 29 octobre 2023
Après “L’Africaine”, L’Opéra de Marseille proposait à son public, toujours friand de grandes voix “L’Attila” de Giuseppe Verdi, fresque historique et héroïque. Si cet ouvrage, venant après “Nabucco” ou “Ernani”, mais annonçant déjà “Macbeth” n’est pas un des plus connus du grand public il réclame quatre grandes voix avec airs de bravoure et éclats vocaux qui exigent tempérament et engagement de chaque instant. Et du tempérament il en faudra pour cette version concertante sans le soutien d’une mise en scène. Quatre registres différents mais une même puissance pour ce récit guerrier qui voit un Attila vainqueur mais aussi troublé par ses visions et parfois plus magnanime qu’on aurait pu l’imaginer, mais un Attila finalement assassiné par la main même de celle qu’il vient d’épouser, et ses derniers mots rejoindront ceux prononcés par Jules César poignardé par son fils, “Anche tu, Odabella“. Lors d’une visite au Vatican, Giuseppe Verdi avait pu voir une fresque peinte par Raphaël dans la chambre d’Héliodore du Palais épiscopal qui mettait en scène Attila et le Pape Léon le grand venu lui demander d’épargner Rome. Le compositeur fera référence à cette rencontre sur les bords du Mincio, donnant la parole au Pape par la voix sombre de la basse Louis Morvan projetée avec autorité; interventions courtes mais remarquées. Autre rôle court, celui d’Uldino, l’esclave d’Attila, dans la voix au timbre agréable du ténor Arnaud Rostin-Magnin à la diction parfaite. Une brève ouverture et un prologue nous feront entrer dans le vif du sujet de cet opéra en 3 actes où les airs se succèdent ; guerriers ou plus sensibles n’oubliant pas quelques accents belcantistes avec les vocalises d’Odabella. Odabella est ici la soprano Csilla Boross aux moyens vocaux extraordinaires. La voix a gardé toute son ampleur, sa vigueur pour ce rôle écrasant qui demande aussi un large ambitus soutenu dans chaque registre. Guerrière, vengeresse dans ses éclats de voix projetés aux aigus tenus, la soprano hongroise sait moduler sa voix pour des accents plus doux ; “Oh ! nel fuggente nuvolo !”, où le timbre se fait plus suave, accompagné par le cor anglais. On apprécie le duo avec Foresto où les deux voix se répondent dans une même esthétique vocale. Mais n’oublions pas son entrée dès le prologue “Santo di patria…” où ses aigus tranchants impressionnent Attila lui-même. Si ses graves résonnent avec profondeur, ses aigus gagneraient à être plus maîtrisés pour plus de rondeur. Une interprétation éclatante ! Attila est interprété par Ildebrando d’Arcangelo dont la voix vigoureuse et la profondeur du timbre investissent la salle. Tour à tour guerrier ou laissant ressortir ses doutes, la basse italienne, dans une grande puissance des gaves, fait frémir ou émeut alors qu’il laisse transparaître sa peur dans ce récit tragique “Mentre gionfarsi l’anima…”, pour un moment d’émotion. Mais Attila ne peut être terrorisé longtemps, l’aigu puissant timbré et tenu nous le prouve. Force, moyens vocaux dramatiques, noblesse d’expression et projection parfaite se retrouvent dans ses échanges avec Ezio ou Odabella  alors qu’il laisse s’exprimer la voix, puissante et colorée. Un Attila que l’on n’oubliera pas ! Face à Attila, la voix de baryton d’Ezio, ce général romain qui veut le soudoyer pour un partage de la puissance. Dès le prologue dans un tonitruant “Avrai tu l’universo, resti Italia a me!” Juan Jesùs Rodriguez impose sa présence et sa voix. D’emblée le timbre séduit. Déjà applaudi dans Nabucco, l’on reconnaît la couleur et la rondeur du timbre, avec cette technique mise au service de la voix jusqu’aux aigus épanouis et tenus. Beau phrasé au souffle soutenu encore à l’acte II “Dagl’immortali vertici…” et quelle vigueur dans la projection “E gettata la mia sorte.” des airs remarquablement écrits et remarquablement interprétés. La sincérité de l’engagement et la beauté de la voix font ici merveille. Antonio Poli complète ce quatuor vocal dans une voix de ténor admirablement projetée au phrasé très musical dans le rôle de Foresto. Ténor solaire, il est à la fois inquiet, en colère, guerrier dans une grande expressivité vocale. Dès le prologue on apprécie “Ella in poter del barbaro…” pour la fermeté de la voix, la richesse du timbre et la conduite du chant. Dans une technique affûtée, les superbes aigus tenus passent avec facilité, aussi bien seul qu’en duo ou quatuor. Une prestation qui fait de ce quatuor vocal un des plus homogènes dans les voix et les intentions des personnages. Une belle découverte pour le public marseillais. “Attila” demande un grand investissement du cadre du Chœur. Guerriers, religieux, vainqueurs ou en prières, solide chœur des hommes, sensible chœur des femmes. Maintenant préparé par son nouveau chef Florent Mayer, le Chœur de l’Opéra de Marseille a encore fait montre d’un grand investissement, d’une grande flexibilité et d’une belle homogénéité des voix. Entre Paolo Arrivabeni et l’orchestre de l’Opéra de Marseille existe un respect réciproque et une belle entente musicale. Cela se confirme encore avec cet “Attila” que le maestro dirige pour la première fois. Nul besoin de grands gestes, la communication passe par le regard, l’intensité du geste. Le chef laisse sonner l’orchestre, jamais trop fort et pose les atmosphères dès la brève ouverture, violoncelles, petite harmonie, puissance des cuivres. Avec un souci constant des voix, le chef italien soutient les chanteurs, nuance le chœur, fait sonner les trompettes dans un tempo vif et le respect des équilibres jusqu’au triple forte final. La musicalité du maestro n’est plus à démontrer, pas plus que la connaissance des partitions de Guiseppe Verdi qu’il côtoie depuis longtemps. Un orchestre qui sonne, des tempi bien choisis et des contrastes de nuances, sans parler d’un superbe plateau. Succès assuré. Photo Christian Dresse