Aix-en-Provence, Festival de Pâques 2024, Beethoven: Missa Solemnis, Le Cercle de l’Harmonie,  Jérémie Rhorer

Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2024
Orchestre Le Cercle de l’Harmonie
Audi Jungendchorakademie
Direction musicale Jérémie Rhorer
Soprano Chen Reiss
Mezzo-soprano Varduhi Abrahamyan
Ténor Daniel Behle
Basse Johannes Weisser
Ludwig van Beethoven: Missa solemnis en ré majeur op. 123
Aix-en-Provence, le 6 avril 2024
Musique sacrée s’il en est avec la Missa Solemnis que l’on tient souvent commeà l’œuvre testamentaire de Ludwig van Beethoven et qu’il nommait “Mon grand ouvrage”. Pénétré de spiritualité vers la fin de sa vie, Beethoven compose la Missa Solemnis et la dédie à son ancien élève l’Archiduc Rodolphe lorsque ce dernier est élevé au rang d’Archevêque d’Olmütz en 1818. Sa mauvaise santé et le manque d’argent font qu’il mettra 5 ans pour achever cette œuvre qui ne sera éditée qu’en 1927. Œuvre monumentale elle est assez peu jouée, la faute étant due justement au nombre impressionnant d’exécutants. Un énorme chœur, où les voix de femmes dominent, et un orchestre non moins fourni impossible à faire entrer dans n’importe quelle église. Beethoven fait des recherches pour être au plus près de la musique religieuse et reste dans cette tradition d’interprétation entre classicisme et romantisme mais dans une grande richesse d’orchestration et de sons. Cette Messe nous est donnée à entendre en cette soirée du 6 avril, toujours dans le cadre du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, par Le Cercle de l’Harmonie dirigé par son chef Jérémie Rhorer. Déjà au programme en 2020, elle avait été annulée à cause du covid; c’est dire si le public était impatient de l’entendre. Le Cercle de l’Harmonie joue sur des instruments de l’époque du compositeur et, si les sonorités des cordes ne laissent pratiquement pas sentir le changement, vu le nombre des instrumentistes, il n’en est pas de même avec l’harmonie. Les bois et les cuivres, trompettes, trombones et cors ont des sonorités plus feutrées, moins éclatantes et plus couvertes donnant à cette partition, même dans les forte, un grand sentiment de recueillement. Beethoven fait très attention au texte en latin lorsqu’il compose cette messe en 5 parties dans une sorte de Passion dont la religiosité s’exprime jusque dans le refus de donner aux quatre solistes des airs de bravoure ; on les entend, certes, mais dans des enchaînements de phrases où leurs voix, tout en ressortant, semble vouloir se fondre en signe d’humilité. Jérémie Rhorer, avec des gestes amples, va faire résonner l’orchestre, les solistes mais aussi l’admirable Audi Jungendchorakademie dont les voix des sopranos, souvent mises à l’épreuve par l’écriture haut perchée qui caractérise le compositeur, réussiront à garder homogénéité et unité de son. Dans une direction incisive et une énergie canalisée, le chef d’orchestre maintient l’équilibre des forces et des sonorités dès les accords qui ouvrent le Kyrié. Les attaques sont franches sans brutalité et les sons piano harmonieux et tenus. Dans de bons changements de battues, le Gloria se fait plus vif avec des solistes qui passent sans forcer et des voix qui s’enchaînent en fugato pour une succession d’Amen où chacun se fait entendre et un Gloria fortissimo et vif maintenu par la fermeté de la baguette. Assez vif le Credo avec ces voix d’hommes dès les premières notes et les contrastes de nuances, dans un calme religieux, qui soutiennent les quatre solistes dans une sorte de communion de foi. Géniale orchestration où les vibrations tiennent lieu de lien musical amenant la joie dans un tempo vif et marqué ou avec plus de calme sur des Amen tenus. Religieux, intérieurs les sons graves de l’harmonie en choral sur la voix chaude de la mezzo-soprano. Les changements de rythmes du Sanctus commencé dans un calme solennel amènent l’éclat vif du chœur mais aussi des phrases de dévotion, de recueillement avec une harmonie qui déroule un tapis moelleux aux sons éthérés du violon solo ; sons purs qui élèvent les sentiments après la foi partagée par les voix homogènes des solistes. Sombre est l’Agnus Dei habité par la voix ample et ronde de la basse dont le phrasé est repris par la mezzo-soprano dans une sorte de dialogue angoissé qui se prête au recueillement. Bouleversant miserere où les quatre solistes mêlent leurs voix dans des atmosphères qui changent sous la battue large du chef d’orchestre qui, avec souplesse laisse ressortir la polyphonie des voix qui s’enchaînent pour une fin pianissimo. Les quatre solistes ont apporté leur couleur, leur musicalité dans une interprétation juste et sobre. Le timbre cristallin de la soprano Chen Reiss, la voix grave aux sombres profonds de la mezzo-soprano Varduhi Abrahamyan, la clarté et la projection de la voix du ténor Daniel Behele et le moelleux, la rondeur et la profondeur de la basse Johannes WeisserDeux choses sont au-dessus de moi disait Beethoven “Le ciel étoilé et la loi morale qui est en moi”. Il y a dans cette Missa Solemnis, au-delà du religieux, comme une quête, une recherche de ce qu’il y aurait de meilleur dans l’être humain. Peut-être Beethoven a-t-il trouvé ce qu’il cherchait, mais nous avons trouvé, nous, une élévation, une plénitude de sentiments apportés par cette musique. Jérémie Rhorer et l’admirable Audi Jungendchorakademie ont su donner à cette messe un éclat qui est resté dans l’idée religieuse du compositeur. Superbe ! Passé le moment de recueillement, l’éclat des bravos ! Photo Caroline Doutre