Aix-en-Provence, Festival de Pâques 2024: Renaud Capuçon en concert

Grand Théâtre d d’Aix-en-Provence saison 2024
Orchestre de Chambre de Lausanne
Direction musicale Tugan Sokhiev
Violon Renaud Capuçon
Benjamin Britten: Simple Symphony, op.4; Sergueï Prokofiev Concerto pour violon n°2 en sol mineur, op.63; Ludwig van Beethoven: Symphonie n°4 en si bémol majeur, op.60
Aix-en-Provence, le 31 mars 2024
Concert de musiques attractives en ce 31 mars 2024 au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence avec le chef d’orchestre russe Tugan Sokhiev, très attendu, et un Renaud Capuçon en pleine forme pour une interprétation magistrale du concerto n°2 de Sergueï Prokofiev. L’Orchestre de Chambre de Lausanne allait trouver de superbes sonorités sous la baguette inspirée du maestro nous donnant sa propre vision des trois œuvres programmées. Le britannique Benjamin Britten n’a que 20 ans lorsqu’il compose cette œuvre mais déjà ce souffle, cette énergie et ces belles envolées écrites pour un orchestre à cordes. Un peu sage, la Bourrée turbulente qui introduit l’œuvre dans un tempo très modéré enlève peut-être un peu du pétillant de Britten. Le tout pizzicato de ce Pizzicato taquin, joué dans un tempo vif cette fois, nous laisse découvrir la délicatesse tout anglaise du compositeur qui arrive à faire sonner les cordes pincées avec humour, relief et précision. Mais c’est dans le lyrisme de la Sarabande sentimentale que ressort la direction inspirée du maestro dans un style quasi religieux et un tempo allant qui laisse résonner les harmonies sous ces longueurs d’archets à la corde. Nostalgie, modulations, chant, contre-chant sonore des alti et beauté des sons piano des violons. Vif et éclatant est ce Final enjoué dont l’élégance et la légèreté des enchaînements donnent du relief à cette partition originale. Originale aussi est l’écriture percussive du concerto pour violon n°2 de Sergueï Prokofiev qui alterne les ambiances et certaines mesures à 5 temps qui déséquilibrent volontairement l’écoute. Composé dans divers lieux, ce concerto sera créé à Madrid en 1935. Pour sa première interprétation en public, Renaud Capuçon nous livre une version puissante et vigoureuse de cette œuvre dans une technique irréprochable qui fait débuter l’Adagio-Allegro sur une longue phrase du violon aux accents légèrement folkloriques. Changements d’ambiances, de nuances. Soutenant le tempo Tugan Sokhiev fait corps avec le violoniste lui laissant la possibilité d’alterner technique, mélodies de charme et vélocité dans une justesse parfaite et des sonorités colorées pour une fin musicale sur un ultime pizzicato. La clarinette qui marque les temps avec délicatesse introduit un violon romantique au vibrato mesuré dans cet Andante assai. Un concerto intéressant par la variété des atmosphères, des styles et des thèmes qui reviennent dans des sentiments différents ; main gauche du violoniste comme une pièce de dentelle qui peut aussi affirmer son discours ou revenir à des sons plus éthérés soutenus jusqu’à la fin extrême de l’archet. Sentimental et nostalgique ! Accompagnement syncopé pour cet Allegro ben marcato qui change les appuis sans déranger l’assurance d’un violoniste, jamais submergé par l’orchestre, qui laisse résonner la corde grave dans des sons veloutés au vibrato mesuré. Aucun relâchement dans le jeu ou le tempo avec un chef investi qui participe avec précision, tel un instrument de l’orchestre, pour finir dans un accelerando éblouissant. Superbe interprétation dans un savant dosage de puissance et de musicalité qui amène des bravi infinis. Insérée entre les puissantes 3èmes et 5èmes symphonies de Ludwig van Beethoven, Robert Schumann citait la 4ème en disant : “Mince fille de la Grèce entre deux géants nordiques”. Dans un classicisme viennois, cette symphonie, un peu moins jouée, est le reflet d’un Beethoven apaisé, heureux ? Certainement. Douceur, tendresse créent surprises et fraîcheur dans cette interprétation où la légèreté viennoise a remplacé la lourdeur allemande. D’une grande présence, Tugan Sokhiev semble faire partie intégrante de l’orchestre avec une gestuelle précise et aérée qui sculpte le moindre son et pose chaque note apportant simplicité et fraîcheur. Malgré une introduction grave et énigmatique dans un son venu de loin, l’Allegro vivace, léger et joyeux, nous donne à entendre quelques notes qui laissent entrevoir la bucolique Symphonie Pastorale. Sans geste inutile, mais avec une grande précision, le maestro donne la dynamique dans une joie qui s’exprime avec évidence et un grand investissement d’archet aux sonorités pleines et projetées ; jolies nuances et rallentando bien amené. Le quatuor chante avec élégance dans un Adagio sans trop de lenteur et la douceur de la clarinette dans des sonorités qui se fondent. Avec des enchaînements basés sur les sons particuliers de chaque instrument, la direction souple de Tugan Sokhiev crée les diverses atmosphères. Un mouvement de charme et d’intériorité terminé par le son feutré de la timbale. Voulant garder cette légèreté, l’Allegro vivace contrôle les forte pour ne pas briser la fluidité qui illumine ce troisième mouvement et c’est sur le bruissement des violons et l’appui des basses que le dernier Allegro, tel un mouvement perpétuel, laisse éclater une joie teintée d’humour avec le son piqué du basson. Un Beethoven que l’on redécouvre avec ravissement dans l’interprétation subtile et néanmoins magistrale de l’immense chef qu’est Tugan Sokhiev à la tête d’un orchestre magnifique à l’écoute de chacune de ses intentions. Musiques diverses, pleines de surprises. L’on se souviendra longtemps de ce concert… De longs, très longs rappels et des bravos infinis. Photo Caroline Doutre