Aix-en-Provence, Festival de Pâques 2021: Orchestre Les Siècles & François-Xavier Roth

Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2021
Orchestre Les Siècles
Direction musicale François-Xavier Roth
Violon Renaud Capuçon
Piano Bertrand Chamayou
Camille Saint-Saëns: La Jeunesse d’Hercule, op. 5O, Introduction et Rondo Capriccioso en la mineur, op. 28 pour violon et orchestre, Phaéton, op. 39, Havanaise, op. 83 pour violon et orchestre, Africa, Le Rouet d’Omphale, op. 31, Concerto pour piano et orchestre No 5 en fa majeur, op. 103 “Egyptien” 2ème mouvement, Le Timbre d’argent (Valse), Danse Macabre, op. 40
Aix-en-Provence, le 4 avril 2021
Pour célébrer les cent ans de la disparition du compositeur, le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence proposait, en ce dimanche de Pâques, un programme Saint-Saëns, ce compositeur français d’entre deux siècles qui oscille entre romantisme et plus de modernité, passant par des écritures orientalistes ou hispanisantes. Mais ce prolifique et génial compositeur ne se départira jamais d’une écriture classique, ce qui lui vaudra d’être un peu mis à l’écart, malgré certaines originalités et un immense succès, lorsque émergeront des compositeurs plus novateurs, tels Maurice Ravel, Claude Debussy ou Arnold Schoenberg… Malgré une programmation chamboulée à cause des mesures sanitaires dues à la pandémie, le concert de ce soir, prévu de longue date, allait être maintenu. Sans public évidemment, mais retransmis en streaming sur le site du festival pour que chacun puisse en bénéficier de chez soi. Cela permettant aussi aux artistes de pouvoir se produire sur scène. Quelques journalistes étaient invités afin de comptes rendus musicaux. Privilégiés ces journalistes ? C’est ainsi que nous le percevons dans cette salle vide où il est impossible de manifester notre joie à tous ces musiciens talentueux à cause de la captation. Et ce soir plus particulièrement où nous voyons un orchestre au grand complet, nous en étions privés depuis plus d’un an. Choc visuel tout d’abord, choc émotionnel ensuite. Et quel orchestre ! Celui des Siècles, fondé en 2003 par son chef François-Xavier Roth et, excusez-nous du peu avec deux solistes flamboyants : Renaud Capuçon violon et Bertrand Chamayou piano. Jouant sur instruments d’époque, l’orchestre pose avec mystère les premières notes du poème symphonique La Jeunesse d’Hercule. Dirigeant sans baguette, le chef d’orchestre sculpte les sons, suggère et n’impose rien. Dans cette écriture classique les couleurs ressortent en une peinture impressionniste laissant quelques sons en suspension. Les sons homogènes des cordes jouent la délicatesse avec un solo de cor comme une lumière. Dans l’unité des archets et la clarté de la petite harmonie le chef motive l’orchestre vers un agitato contrôlé où flûtes et trompettes s’en donnent à cœur joie. Après un moment d’apaisement, un final héroïque, avec quelques mesures sous forme de choral, nous permet d’apprécier l’unité de cet orchestre et des différents pupitres. Un Renaud Capuçon très à l’aise dans cette Introduction et Rondo Capriccioso dédicacée à Pablo de Sarasate. Charme et démanchers voluptueux riment avec rythmes et staccato dans un jeu affirmé. Une grande maîtrise d’archet, une justesse parfaite jusque dans les doubles cordes permettent au violoniste de passer avec élégance des notes piquées aux phrases langoureuses. Bariolage d’archet, staccato volant, vélocité de main gauche, un feu d’artifice de notes qui nous emmène dans un vivacissimo époustouflant. Un chef d’orchestre qui tient orchestre et soliste de main de maître avec un Renaud Capuçon en grande forme et heureux de jouer sur cette scène du Grand Théâtre de Provence. Avec Phaéton Camille Saint-Saëns aborde un sujet mythologique. Dans son écriture imagée, il utilise tous les instruments pour illustrer ce poème symphonique. Accords majestueux d’une sonnerie de cuivres sur la course des cordes en petit détaché incisif. Direction précise et efficace d’un chef qui laisse sonner les cors et les trompettes tout en maintenant les notes piquées de la petite harmonie. L’on peut même apercevoir phaéton et son char dans un ciel apaisé. Mais tout s’emballe, les cordes s’agitent et Phaéton perd le contrôle des chevaux. Seul le chef d’orchestre arrive à contrôler char et musiciens jusqu’à ce que Jupiter, dans un roulement fortissimo des trois timbaliers, vienne frapper de sa foudre le pauvre Phaéton pour éviter que le soleil ne vienne enflammer la terre. Tout s’apaise, le thème revient plus lent, un peu mélancolique sur des archets pianissimo. Renaud Capuçon est de retour pour une Havanaise de charme sur un rythme de habanera utilisant son vibrato pour de subtils changements de sentiments. François-Xavier Roth sait se rendre moins présent pour accompagner le soliste tout en gardant une belle rondeur de son. Le tempo reste allant avant de s’animer pour des envolées de main gauche dans un staccato léger ou un petit détaché précis. Souplesse d’archet et vibrato intense pour des notes graves aux sonorités chaleureuses. L’orchestre reste présent pour accompagner le violoniste avec souplesse dans des phrasés élégants ou une vélocité plus musclée. Le soliste joue ici la carte du charme dans un violon sensuel et enchaîne montées et descentes vertigineuses avec une sûreté de main gauche et une justesse parfaite. Longue tenue piano dans un archet toujours maîtrisé. Un réel moment de plaisir ! Camille Saint-Saëns est un compositeur curieux qui aime nous entraîner dans des paysages différents ainsi cette fantaisie Africa pour piano et orchestre. Une petite harmonie qui introduit un piano véloce et clair sous les doigts sûrs d’un Bertrand Chamayou  qui se prête au jeu de cette fantaisie avec légèreté et finesse. Sentimental ou simplement à contre chant d’un hautbois mélodieux, le pianiste se sert de sa technique pour imager avec bonheur cette œuvre originale et pleine de fraîcheur sur des rythmes chaloupés. Humour, lumière, notes piquées et légères mais néanmoins sonores pour cette musique aux intervalles orientalisants. Dans un jeu éblouissant de clarté, le pianiste explore tous les changements de cette écriture colorée soutenu par un chef d’orchestre aux gestes précis et expressifs qui sait entraîner ses archets. Superbe interprétation pour un voyage à travers les musiques du monde. Avec légèreté, François-Xavier Roth aborde Le Rouet d’Omphale, cet autre poème symphonique toujours de Camille Saint-Saëns. Le rouet tourne, les notes volent, les instruments enchaînent les phrases. Hercule (encore lui), file la laine aux pieds d’Omphale. Humour, dérision, en une sorte de ronde superbement interprétée avec délicatesse dans des sonorités sculptées par le chef. Le Concerto No 5 est créé le 2 juin 1896 à la Salle Pleyel par le compositeur lui-même pour célébrer le cinquantième anniversaire de ses débuts dans cette salle. Composé alors que Saint-Saëns se trouvait à Louxor, ce séjour vaudra à ce concerto qui comporte de nombreuses phrases orientalisantes le surnom de l’Egyptien ; un chant nubien aurait même inspiré le compositeur. Très exotique, le 2ème mouvement que nous écoutons ce soir nous transporte jusqu’en Asie. Bertrand Chamayou nous en propose une version éblouissante faisant ressortir les couleurs et les intentions voulues par le compositeur. Le chef d’orchestre laisse jouer le pianiste, l’accompagne avec délicatesse dialoguant même avec lui dans des phrases reprises par le hautbois. Toucher délicat, jeu perlé, expressivité, tendresse pour des sonorités asiatique ou plus orientales sont les qualités du pianiste qui ressortent dans ce mouvement imagé. Un pianiste qui explore les musiques venues d’ailleurs sous des doigts précis qui gardent un son moelleux jusque dans des imitations d’instruments. Un moment de rêve et d’évasion. Du Timbre d’argent, le drame lyrique de Camille Saint-Saëns, nous écoutons la Valse. Les trompettes introduisent cette valse jouée par les violons avec des pizzicati légers. Le chef n’impose rien mais danse avec ses musiciens, créant les sons et les nuances de ses doigts souples, entraînant les envolées des violons dans un accelerando pour finir dans un grand Tutti forte. Saint-Saëns est un compositeur original jusque dans le traitement de la mort. Dans cette Danse macabre qui conclut ce concert, chaque instrument joue un rôle. La harpe sonne minuit, le xylophone fait s’entrechoquer les os des défunts, la mort accorde son violon jusqu’au cocorico du coq qui annonce la fin du sabbat. Dans un tempo de valse rapide, François -Xavier Roth mène la danse avec son orchestre mettant en relief chaque instrument dans un thème qui revient comme une vague passant d’un pupitre à l’autre. D’agressif, le violon de François-Marie Dreux, violon solo de l’orchestre, se fait plus nostalgique dans de belles longueurs d’archet. Le quatuor se déchaîne avec puissance laissant le violon solo s’éloigner sur la pointe de l’archet après avoir entendu le chant du coq. Superbe interprétation qui fait ressortir la puissance inquiétante du quatuor dans un tempo vif et coloré. Un concert magnifique orchestré par un chef qui, sans effet de manches, dirige, insuffle, colore le discours des musiciens dans cette musique imagée. Un grand bravo !