XVIIIe Festival Musique Interdites 2023 dirigees par Lawrence Foster

Marseille, Salle du Silo, 
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Lawrence Foster
Mezzo-soprano Aude Extrémo
Baryton Mathias Hausmann
Violon Albena Danailova
Gustav Mahler: “Kindertotenlieder” (Chants sur la mort des enfants) version baryton; Alban Berg Concerto pour violon “à la mémoire d’un ange”
Gustav Mahler: “Kindertotenlieder” version mezzo-soprano
Marseille, le 14 novembre 2023
XVIIIème Festival déjà de ces musiques interdites par le régime nazi car composées par des musiciens juifs. Ce festival tenait à commémorer cette année la destruction, en janvier 1943, du quartier du Vieux Port de Marseille et les rafles qui s’en suivirent. Au programme, Gustav Mahler et Alban Berg. Musiques tristes, musiques sans espoir ? Musiques qui viennent, encore une fois, poser un voile sombre après les tragiques évènements du 7 octobre. Pourquoi Gustav Mahler compose-t-il ces Kindertotenlieder sur le cycle des 5 poèmes écrits par le poète allemand Friedrich Rückert qui vient de perdre deux enfants (Chants pour des enfants morts), alors qu’il ne pleure, lui, la perte d’aucun enfant ? Est-ce pour conjurer le sort, éloigner ses peurs en les mettant en musique ? Alma, sa femme, mère maintenant d’une enfant délicate le perçoit d’une toute autre façon et lui fait ce reproche: “Pour l’amour de Dieu, tu peins le diable sur la muraille”. Choisir ces Kindertotenlieder est une façon de rendre un hommage à tous ces enfants morts. Œuvre d’une grande puissance et d’une grande tristesse aussi. Lawrence Foster, qui dirige souvent des Lieder de Mahler, nous fait sentir le poids des sombres pensées qui hantent le compositeur avec cette délicatesse et les respirations qui sont autant de soupirs et de larmes qui ponctuent cette musique. Œuvre présentée ici en deux versions, la voix d’un baryton et celle d’une mezzo-soprano qui entrent en résonnance mais sont autant de différences dans l’expression de la douleur ; celle d’un père et celle d’une mère. Différences sans doute dues aux voix, à leurs tessitures et leurs couleurs. Mathias Hausmann est cette voix de baryton qui voile un peu l’émotion brute contenue dans ces poèmes. Peine qui paraît plus lointaine, comme déjà acceptée. Chaque poème a ses émotions propres ; la voix du baryton se plie avec souplesse à ces changements, respirant avec les instruments solistes passant du chant monocorde d’une douleur sourde à un registre plus haut dans une recherche de phrasé et d’intensité, les notes au fond des temps marquant la tristesse qui se veut sans éclat. Reprenant les sonorités du cor anglais dans un tempo plus allant la voix du baryton évoque des souvenirs où pourrait poindre une note d’espoir vite disparue dans un grave sans joie. L’espoir d’un prochain retour laisse entendre une phrase plus lyrique dans une voix en demi-teinte mais les remords arrivent dans ce temps d’orage avec cette voix aux accents douloureux dans un tutti où les éléments se déchaînent pour finir dans une douce souffrance où la voix voilée laisse ressortir quatre notes en continuo comme une rêveuse comptine. Reprenant ce cycle, Aude Extrémo laisse résonner la chaleur de son mezzo, moins sombre, moins monocorde peut-être, mais où ressort une extrême douleur qui s’harmonise avec les voix des violoncelles. Les aigus de cette voix grave sont-ils plus déchirants dans le deuxième poème aux attaques plus percutantes ? Les notes de la harpe sont comme les larmes d’une mère, cette mère évoquée et qui rentre sans ses enfants avec cette souffrance qui s’harmonise avec les sonorités du cor anglais. Chanté dans une voix de mezzo-soprano, ce troisième poème prend une tout autre dimension. Le tempo plus allant voudrait transmettre un peu de joie, mais sans y parvenir. Désespoir au souvenir de cet orage où l’on n’a pas pu protéger les enfants, mais la comptine en forme de berceuse semble annoncer l’acceptation de cette mère à la voix déchirante. Deux versions dirigées avec la même délicatesse par un chef qui paraît s’effacer devant la douleur, dirigeant du bout de sa baguette tout en changeant certaines respirations selon le registre des deux voix. Un extrait de la cantate BWV 82 de Jean-Sébastien Bach BWV82 “Ich habe genung” interprété par les deux voix avec violon et orchestre dont les respirations et les sonorités prolongent le recueillement. Le concerto pour violon d’Alban Berg intitulé A la mémoire d’un ange est aussi propice au recueillement. C’est en pensant à Manon, la fille d’Alma Mahler qu’il aimait beaucoup et qui vient de décéder, qu’il compose cette œuvre alors qu’il sort à peine d’une longue période de dépression. Dans ce concerto, composé en deux parties Andante et Allegro, Alban Berg mélange les modes mineur et majeur tout en passant de l’écriture tonale à l’écriture dodécaphonique d’une façon assez figurative.
Pour ce concerto, nous découvrons avec plaisir la violoniste bulgare Albena Danailova. L’atmosphère est pesante mais le son chaleureux du violon se remarque dès les cordes à vide qui, étonnamment, introduisent le concerto dans un son feutré. Dans de belles longueurs d’archet le son devient plus présent et le vibrato plus intense avec toujours à l’orchestre ces quatre notes issues des cordes à vide évoquant une certaine nostalgie. Ce concerto n’est pas une composition de virtuosité, mais plutôt une évocation aux multiples atmosphères qui demande une solide technique d’archet en soutien à l’intensité des sentiments. Quelques notes aigües dans une pureté de sons évoqueront peut-être le bruissement des ailes de cet ange aux respirations retenues. Apportant une certaine tension, le caractère de la jeune fille se remarque dans un vibrato intense et un tempo de valse plus accentué. Forte et plus rapide est la seconde partie où le son grave du tuba souligne le bariolage du violon comme enfermé dans une solitude d’où il n’arrive pas à sortir malgré la puissance des doubles cordes. Luttant contre l’orchestre, la violoniste impose une cadence faisant même sonner quelques pizzicati main gauche. Après un déchaînement fortissimo l’orchestre s’apaise dans un choral tout religieux laissant la violoniste reprendre son discours dans une belle longueur d’archet. C’est l’intensité de son d’Albena Danailova qui donne vie à cette jeune fille trop tôt disparue dans une expression poignante que le public reçoit sous forme de choc musical qui s’estompe dans une longue tenue aigüe sans vibrato. Superbe concert de tension émotionnelle.