Festival d’Aix-en-Provence 2015: “Die Entführung aus dem Serail”

Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché    
“DI ENTFÜHRUNG AUS DEM SERAIL” (L’ENLEVEMENT AU SERAIL)
Singspiel  en trois actes, livret de Gottlieb Stephanie d’après Cristoph F. Bretzner
Dialogues adaptés par Martin Kusej et Albert Ostermaier
Musique  Wolfgang Amadeus Mozart
Selim Bassa   TOBIAS MORETTI
Konstanze   JANE ARCHIBALD
Blonde   RACHELE GILMORE
Belmonte  DANIEL BEHLE
Pedrillo   DAVID PORTILLO
Osmin   MISCHA SCHELOMIANSKI
Choeur  MusicAeterna
Orchestre  Freiburger Barockorchester
Direction musicale   Jérémie Rhorer
Mise en scène   Martin Kusej
Décors   Annette Murschetz
Costumes   Heide Kastler
Lumières   Reinhard Traub
Dramaturge  Albert Ostermaier
Aix-en-Provence, le 21 juillet 2015
Mozart, compositeur fétiche du Festival d’Aix-en-Provence attire toujours de nombreux mélomanes lors de la programmation d’un de ses opéras, et représenter L’enlèvement au Sérail était s’assurer d’une fréquentation optimale. Mais en cette soirée de clôture du festival, le miracle d’Alcina et de Iolanta / Perséphone ne se renouvellera pas et un tollé de ” hou ” contestés par quelques bravos réveillera, à l’entracte et à la fin du spectacle, une salle frappée d’endormissement. Bernard Foccroulle, Directeur général du Festival d’Aix-en-Provence, toujours dans une optique d’ouverture théâtrale, avait accepté la proposition du metteur en scène martin Kusej ; mauvaise idée, manque de discernement ? Toujours est-il que le moment était mal choisi pour une telle production. Le contexte mondial ( politique et religieux ) obligera Monsieur Bernard Foccroulle à modifier certaines scènes jugées trop violentes où trop suggestives, et à mettre en place un dispositif de sécurité renforcé. Nous échapperons ainsi à une scène de décapitation et à la présentation du drapeau noir avec des inscriptions en écriture arabe trop évocateur. Que vient donc faire ici la musique délicate de Wolfgang Amadeus Mozart dans ce contexte de guerre avec allusions visuelles au terrorisme ? Martin Kusej a dû trouver original, s’appuyant sans doute sur les quelques mots très virulents d’Osmin d’adapter le texte parlé, en collaboration avec Albert Ostermaier ; texte qui ferait parfois sourire. Selon le décor unique d’Annette Murschetz, nous sommes ici en plein désert, avec pour seul élément une tente bédouine aux airs militaires, aux portes de la guerre ; mais quelle guerre, la grande qui opposa les turcs aux tribus nomades selon leurs alliances ? Les costumes d’Heide Kastler ne le disent pas. Par contre, et malgré des fusils aujourd’hui dépassés, on a plutôt l’impression d’avoir affaire aux méthodes employées par Daesh avec un Pedrillo pris en photo, ensablé et prêt pour une lapidation. Bref, on comprend que les spectateurs qui ont payé au bas mot 200E ne soient pas réjouis de se retrouver devant des scènes qui font le quotidien des informations. Peut-être dans quelques années verrons-nous cette mise en scène comme un témoignage historique, mais pour l’instant, le mouton égorgé sur scène, dont le coeur est offert à Blonde, et les pastèques, prises tout d’abord pour des têtes coupées, qui roulent et que l’on éclate d’un coup de sabre ne sont pas du goût de tout le monde et pas du nôtre non plus. Ce Singspiel que Mozart composa à l’âge de 26 ans avec des airs de turqueries, pour distraire et faire ressortir les voix, est ici d’un mortel ennui. Et force est de constater hélas ! que si nous ne connaissions pas la musique de Mozart, nous n’aurions aucune envie d’en écouter davantage. Si certains continuent de penser que l’on peut impunément sortir la musique de son contexte, la preuve est faite ce soir qu’il n’en est rien. A-t-on changé le Freiburger Barockorchester ? Qu’est donc devenu celui que nous avions applaudi pour Alcina et que nous avions trouvé admirable ? Si nous avions compté sur l’interprétation de la musique pour nous sortir de ce marasme, nous allions être déçus. Des nuances très piano rendent le son sans consistance, et le détaché trop sec enlève toute résonance; Jérémie Rhorer, avec des gestes larges et esthétiques semble survoler cette partition, et le choeur MusicAeterna qui chante dans la fosse d’orchestre s’est un peu affadi. Triple déception avec les voix. Daniel Behle, qui chantait le rôle de Belmonte était annoncé souffrant ; de ce fait il susurre ses premières interventions et il faudra attendre le grand duo Konstanze / Belmonte de l’acte III pour apprécier sa voix, imaginant ce qu’airaient été ses airs s’il avait été en pleine possession de ses moyens. Osmin, chanté ce soir par Mischa Schelomianski n’avait rien, lui non plus, de la dimension du personnage qui seul, donne la touche comique et exotique contenue dans cette oeuvre. C’est un homme en noir, assoiffé de sang, benêt à ses heures devant une femme ; une belle prestance tout au plus. Du côté de la voix rien de rare, les notes graves sont là mais les aigus sonnent étouffés et sa ligne de chant manque de relief. Est-il dérouté par cette mise en scène ? Rien dans son jeu ne nous le montre investi. Tobias Moretti prête sa voix à Sélim. Une voix étrange pour ce pacha vêtu en plein désert d’un costume gris clair . C’est un renégat, un chrétien converti à l’islam, qui oscille entre désir de vengeance et bonté, assez sympathique au demeurant. Peu convaincu, il restera peu convaincant. David Portillo est le seul rôle masculin qui paraît avoir conservé un peu du personnage décrit par Mozart. Il joue avec plus de pertinence même s’il n’est pas aidé par la mise en scène. Nous faisant entendre des aigus assurés et sonores, il donne un peu de relief au duo chanté avec Osmin. Jane Archiblad est ici Konstanze. Une Konstanze qui a du mal à s’affirmer. Cette jeune soprano canadienne a déjà une jolie carrière derrière elle ; ayant chanté sur de grandes scènes, elle a été dirigée par des chefs d’orchestre de renom tels Lorin maazel, Louis Langrée ou Christian Thieleman. Si la voix est jolie, son timbre aigrelet au vibrato un peu serré surprend par moments. Qu’elle soit couchée sur le sable ou jetée dans une baignoire, il est évident que la mise en scène ne l’aide en rien. Elle nous fait toutefois entendre de jolies vocalises dans des passages intéressants. Plus à l’aise au fil des mesures, ces vocalises sonneront plus décidées, comme libérées, avec une voix qui s’assouplit pour un duo avec Belmonte beaucoup plus musical. C’est sans doute dans les quatuors, que les voix trouvent l’homogénéité qui fait résonner cette musique ô combien savoureuse. Rachele Gilmore est la seule dans cette production a avoir conservé le style et l’aisance voulus par Mozart. Avec sa belle voix de soprano, elle chante avec une pertinence qui donne du piquant au rôle de Blonde. Sa bonne prononciation ainsi qu’une projection délicate lui permettent des aigus à l’aise. Mais comment trouver un style et une cohérence dans une telle mise en scène, ponctuellement huée, avec un texte qui ne cadre pas avec la musique ? On aimerait écouter ces jeunes chanteurs dans un autre spectacle, dirigés avec une plus grande intelligence musicale. S’il n’est pas facile d’évoluer dans le sable, ce tableau qui nous plonge dans une peinture orientaliste sera agréable à regarder et l’on essaiera d’oublier la vue du pauvre pacha ensanglanté qui s’est flagellé avec des roses rouges. Symbole, incongruité ? En tous cas, une soirée ratée.