Opéra de Marseille:”Le roi d’Ys”

Marseille, Opéra Municipal, Saison 2013/2014
“LE ROI D’YS”
Opéra en trois actes, livret de Edouard Blau.
Musique Edouard Lalo.
Rozenn INVA MULA
Margared  BÉTRICE URIA-MONZON
Mylio  FLORIAN LACONI
Karnac  PHILIPPE ROULLION
Le Roi  NICOLAS COURJAL
Saint Corentin  PATRICK DELCOUR
Jahel  MARC SCOFFONI
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale  Lawrence Foster
Chef du Choeur Pierre Iodice
Mise en scène  Jean-Louis Pichon  
Décors  Alexandre Heyraud
Costumes  Frédéric Pineau
Lumières  Michel Theuil
Coproduction Opéra de Saint-Etienne / Opéra Royal de Wallonie.
Marseille, le 10 mai 2014

Le Roi d’Ys est, depuis quelques décennies, un opéra devenu rarissime sur les scènes françaises, et l’on peut tout à fait remercier Maurice Xiberras, directeur général de l’Opéra de Marseille, pour le courage de ses programmations, où il inclut chaque année un ouvrage français un peu oublié. Après Le Cid et Cléopâtre de Jules massenet, c’est Le Roi d’Ys de Edouard Lalo, que nous écoutons  avec un grand plaisir et un grand intérêt. S’il est à regretter que le public français boude un peu son patrimoine lyrique, il n’en sera rien ce soir, l’Opéra affichant pratiquement complet pour cette oeuvre représentée pour la dernière fois à Marseille en mars 1994. Sur un livret de Edouard Blau, Edouard lalo compose entre 1875 et 1878 son opéra, d’après la légende bretonne de la ville d’Ys engloutie.
La seconde femme du compositeur est justement bretonne et contralto, c’est donc pour elle qu’il écrit le rôle de Margared.
La première version ne resta pas longtemps à l’affiche, mais la deuxième version, écrite par Edouard Lalo et présentée le 7 mai 1888 sur la scène du Châtelet avec la troupe de l’opéra Comique, obtint un vif succès, elle sera représentée une centaine de fois la même année. L’opéra enthousiasma les scènes d’Europe, et le livret fut traduit dans différentes langues. Il faut dire qu’à cette époque, les opéras étaient chantés dans la langue du pays où ils étaient joués.
Certes cette musique date un peu, mais c’est avec l’esprit des mélomanes français de l’époque de leur création qu’il faut écouter ces oeuvres. On trouve dans la partition du Roi d’Ys, où Edouard lalo a écrit une importante partie de Choeur, des passages bucoliques et joyeux, on pourrait même y retrouver quelques accents du Mireille de Charles Gounot.
C’est dans un décor unique imaginé par Alexandre Heyraud, que se passe toute l’action où amour, haine et vengeance vont se côtoyer. Des roches, des falaises, tout est assez sombre avec des pierres luisantes comme des ardoises ; un pont en fond de scène qui pourrait surmonter les écluses garde ces couleurs de fer rouillé. Couleurs qui enveloppent le décor mais aussi les costumes. De bonnes idées produisent un certain effet : ainsi une porte en ogive qui descend des cintres, figurant la porte vitrée d’une chapelle où doivent se dérouler les mariages et dont les vitres éclairées de l’intérieur font ressortir des lumières dorées, ou cette pluie qui tombe en averse sur la scène au dernier acte.
Fréderic Pineau a fait un choix étonnant pour les costumes, il habille tout le monde ou presque dans des teintes mordorées, cela fait une unité avec le décor, mais enlève une certaine action visuelle. le choix de l’époque de ces costumes est aussi étrange, hommes et femmes sont coiffés de chapeaux hauts-de-formes et vêtus de manteaux qui donnent aux messieurs des airs de cochers et ne sont pas très seyants pour les dames. Les deux soeurs, filles du roi, ont elles des robes du XIXème siècle. Seule dérogation à ces teintes, Karnac et ses guerriers tout de rouge sang vêtus, ils ont au moins le mérite de mettre une touche de couleur vive.
Mais sans doute, le metteur en scène Jean-Louis Pichon, a-t-il voulu nous transporter dans une ambiance étrange de conte ; et en cela, c’est réussit. rien n’est très déterminé, et finalement, on sort du spectacle en se disant que c’est une idée originale et que ces teintes, loin d’être bizarres ont apporté avec la couleur rouge, un effet dont on se souviendra. La mise en scène, tout à fait traditionnelle nous donne certains beaux mouvements de foule, le plus convaincant étant la frayeur palpable du peuple qui fuit devant l’eau qui déferle, c’est bien joué et très réaliste. La vision de Saint Corentin dans la brume, entouré d’une lumière dorée est aussi réussie. Un autre moment fort, qui fait un magnifique tableau, est l’arrivée des soldats vainqueurs ramenant les drapeaux rouges de la victoire.
Les lumières de Michel Theuil, sont appropriées à ces ambiances en demi-teinte, jamais éclatantes, toujours suggérées.
Cet opéra est ce que l’on pourrait appeler un opéra à grand spectacle, de par le livret et de par la musique, puissante, rapide, rythmée qui, mis à part les lent solos de clarinette et de violoncelle, quelques duos ou l’aubade chantée par le ténor est assez violente, avec des sonneries de trompettes éclatantes. La scène finale, dans une jolie lumière vient apaiser ces moments de tension.
Edouard Lalo écrit mieux pour l’orchestre que pour les voix qui sont souvent haut perchées, avec des aigus qui cassent la ligne musicale. S’il n’a pas incorporé un ballet, comme c’était la coutume à cette époque, il a écrit une ouverture qui pourrait être considérée comme un poème symphonique. Les couleurs, les atmosphères, les thèmes de l’opéra s’y font entendre dans une écriture très fouillée. Maurice Xiberras a réussi à engager des chanteurs qui, à part Inva Mula qui est albanaise, parlent tous français. le fait est assez rare pour qu’on le remarque. Béatrice Uria-Monzon, chante Margared, c’est un rôle assez lourd, avec des aigus puissants et des graves appuyés, des lignes musicales coupées avec des sauts d’intervalles qui demandent une amplitude de voix très large. Elle a la présence scénique et la voix de Margared, le dramatique lui va bien. Peut-être chante-t-elle un peu en force, dans un style assez éloigné de celui que l’on employait au siècle dernier pour les ouvrages français, mais on a perdu depuis de nombreuses années cette façon légère et élégante d’interpréter la musique française. Ceci dit, on pourrait lui reprocher d’avoir une prononciation approximative qui enlève la compréhension du texte, mais ses aigus sont assurés – et ils sont nombreux – et le timbre, dans le medium garde sa rondeur. C’est lorsqu’elle chante piano qu’on l’apprécie le plus, sa voix s’adoucit alors, et le phrasé devient plus délicat,plus sensible. Elle sait accorder sa voix à celle de Rozenn, pour un duo homogène. C’est une prise de rôle réussie.
C’est à Inva Mula, qu’est confié le rôle de Rozenn. Frêle et délicate, le personnage lui convient. Elle est la jeune soeur, douce et timide qui sait aussi s’affirmer lorsqu’il s’agit de défendre son amour. Vocalement elle a des phrasés délicats, des aigus sûrs jamais criés, de jolies demi-teintes sur le souffle, des nuances faites avec souplesse, elle projette les sons sans brutalité faisant oublier son léger accent. Elle nous fait entendre de jolis duos empreints de douceur aussi bien avec Mylio, qu’avec le roi son père. On avait déjà remarqué sa musicalité et cette façon d’attaquer les notes avec sensibilité dans Otello, en 2013 sur cette même scène, on la retrouve ici, tout à fait à son aise.
Florian Laconi qui est Mylio chante pour la première fois sur la scène marseillaise. Sa voix claire passe sans forcer. Il nous donne à entendre certains aigus chantés en falsetto, dans la pure tradition de l’ouvrage, ainsi dans l’Aubade qu’il interprète avec sensibilité. Tout en gardant un peu le style des chanteurs de la grande époque des opéras français, il n’en est pas moins un ténor tout à fait actuel, solide, puissant, au timbre chaleureux sans forcer, aux belles tenues soutenues. Investi dans son rôle, il nous fait ressentir la fougue du guerrier sans enlever en rien à la sensibilité du phrasé. C’est un jeune ténor que l’on aura plaisir à entendre dans d’autres rôles.
Philippe Rouillon est Karnac. Ce baryton français, déjà entendu à Marseille dans Samson et Dalila, en 2010, a un répertoire assez vaste. Il a la présence et la rudesse du rôle. Sa voix est puissante et large mais elle demanderait à être un peu plus mesurée ; bien que le personnage soit un guerrier brutal, on aimerait un peu plus de phrasé et une ligne musicale plus adoucie. La voix sombre est projetée avec puissance et rondeur de son, mais c’est un Karnac qui gagnerait à s’assouplir.
Nicolas Courjal, souvent entendu à Marseille, chante ici le rôle titre avec une voix large de basse. Il a une belle présence et un maintien royal tout à fait adaptés pour ce rôle. La voix est puissante et bien placée avec un timbre agréable mais il a tendance   quelquefois à crier ses aigus, et manque de finesse dans son phrasé. Il est d’ailleurs beaucoup mieux lorsqu’il chante piano, et le duo avec Rozenn interprété avec tendresse est un moment plus musical. Patrick Delcour et Marc Scoffoni, tous deux barytons, ont des voix différentes mais tout à fait agréables et intéressantes. Le premier chante Saint Corentin avec un timbre chaleureux, et bien que la voix soit sonorisée pour les besoins de la mise en scène, on peut juger de la qualité de la voix ainsi que d’une bonne musicalité. Marc Scoffoni est un Jahel de qualité, sa voix est claire, précise et projeté sans rudesse. Sa bonne diction et le timbre agréable de sa voix rendent ce rôle très court intéressant.
Le Choeur est à l’honneur tout au long de l’ouvrage, investi, jouant et chantant bien, il fait preuve d’une grande cohérence et d’une belle homogénéité des voix. Les rythmes sont percutants, précis avec des attaques nettes ; malgré une tessiture souvent assez haute, les voix gardent une rondeur de son agréable. C’est un travail remarquable effectué avec le chef du choeur Pierre Iodice. Lawrence Foster, retrouve ici son orchestre pour un ouvrage français. Il avoue beaucoup aimer diriger la musique française, et cela se sent. Dès l’ouverture, qu’il dirige comme une oeuvre symphonique, on le perçoit investi, entrainant les musiciens et faisant ressortir les couleurs. Cette écriture fournie appelle le son, mais il faut souvent le canaliser pour ne pas couvrir les chanteurs. Malgré les sonneries des trompettes et une partie importante de cuivres, Lawrence Foster maîtrise l’orchestre dans les passages chantés accompagnant avec souplesse, et laisse sonner l’orchestre dans les passages symphoniques. On sent une grande recherche de sonorités. Les tempi soutenus maintiennent une action qui ne se relâche jamais même dans les passages plus sensibles, comme le défilé du cortège à la sortie de la chapelle. Cette représentation que nous avons trouvée originale dans sa conception, restera sans doute dans les mémoires comme un spectacle sortant des sentiers battus. Photo Christian Dresse