Marseille, Opéra Municipal: “I Puritani”

Marseille, Opéra municipal, saison 2019/2020
“I PURITANI”
Opéra en 3 actes, livret du comte Carlo Pepoli, d’après le drame historique Têtes Rondes et cavaliers de Jacques-Arsène-Polycarpe Ancelot et Joseph-Xavier Boniface dit Saintine.
Version concertante
Musique Vincenzo Bellini
Elvira JESSICA PRATT
La Reine Henriette JULIE PASTURAUD
Lord Arthur Talbot YIJIE SHI
Sir Richard Forth JEAN-FRANCOIS LAPOINTE
Sir George Walton  NICOLAS COURJAL
Lord Walton ERIC MARTIN-BONNET
Sir Benno Robertson/Bruno CHRISTOPHE BERRY
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Giuliano Carella
Marseille, le 5 novembre 2019
Pour deux représentations seulement, l’Opéra de Marseille nous présentait l’ultime opéra de Vincenzo Bellini, et non des moindres, “Les puritains”. Cet opéra, qui demande un plateau équilibré et sans faiblesses, requiert un quatuor vocal homogène et de haute tenue avec une voix de coloratura aux aigus lumineux et un ténor solide en tous points, capable de lancer ses aigus, de les tenir mais capable aussi tout au long de l’ouvrage de faire preuve d’une grande musicalité. Pari tenu par Maurice Xiberras, directeur général de l’Opéra de Marseille, qui n’a pas son pareil pour composer ses plateaux et nous faire découvrir des voix d’exception. Vincenzo Bellini compose cet opéra en neuf mois alors qu’il séjourne en France, à Puteaux. Perfectionniste il dirige aussi son librettiste, le guidant dans ses choix et dans ses voies. Et c’est, dès la première, un immense succès. C’est donc sans mise en scène que nous apprécierons cet ouvrage ce soir et, loin de regretter les relectures souvent dérangeantes, nous nous laisserons porter par la musique et charmer par les voix. Déjà invitée en 2015 dans Semiramide, rôle titre, Jessica Pratt, la soprano coloratura anglo-australienne, applaudie sur les plus grandes scènes du monde lyrique sera Elvira. Avec simplicité et bonheur elle fait résonner la chaleur de son timbre dans des aigus projetés, ronds, tenus, éclatants ou suspendus. C’est un véritable régal ! mais aussi, quelle musicalité, quelles intentions toujours bien menées, quelles nuances extrêmes ! Ecouter Jessica Pratt dans ce rôle est un bonheur de chaque note. Ses attaques nettes et pourtant moelleuses, ses respirations justes, son phrasé et son legato laissent percevoir chaque facettes du personnage. Légèreté du chant à l’acte I “Son vergin vezzosa…”, émotion touchante dans “Vien diletto e un ciel la luna…”, ou sensible avec Arturo “Credeasi misera” ; Jessica Pratt chante sans partition faisant résonner les notes piquées ou les prolongeant dans un souffle et se jouant des difficultés techniques avec une facilité évidente. Dans une virtuosité étincelante, Jessica Pratt nous a donné une leçon de chant mais nous a fait redécouvrir aussi des émotions venues du ciel. Yjie Shi est un Arturo époustouflant et solide aux aigus solaires mais si sa technique et la grande maîtrise de sa voix nous subjuguent, que dire de sa musicalité et de sa compréhension de la musique de Bellini. Exploits techniques bien sûr, mais qui ne donneraient certainement pas les frissons ressentis sans la sensibilité qui affleure à chaque note, chaque nuance. Beauté de la ligne de chant, du legato et finesse des intentions musicales. Duos avec Elvira chantés dans une même esthétique musicale et festival de contre-ré tenus et colorés. Il fallait aux côtés de ces deux chanteurs au sommet de leur art deux voix d’hommes solides pour un quatuor vocal équilibré. Nicolas Courjal, toujours apprécié par le public marseillais, était Sir George Walton ; il met sa voix profonde de basse au service de ce personnage bien veillant aux phrases chantantes. Il semblerait que ce rôle lui aille bien ; la tessiture large dans laquelle il est écrit lui permet des graves sonores et tenus aussi bien que des aigus timbrés et colorés. Nicolas Courjal nous donne à entendre des phrases musicales dans un legato plus nuancé. Sa romance “Cinta di fiori” est sensible alors que le duo avec Riccardo “Suoni la tromba” est chanté avec plus d’éclat. Plus nuancé que dans “La Reine de Saba”, le chant de Nicolas Courjal a perdu certains de ses accents inappropriés ; il nous livre ici une interprétation homogène pour des quatuors très équilibrés. Jean-François Lapointe est Riccardo, cet amoureux malheureux aux accents empreints d’une mélancolie douloureuse. Le timbre est toujours chaleureux et coloré mais la fréquentation des rôles verdiens semble avoir épaissi sa voix. Les vocalises sont moins légères  et certains accents alourdissent son phrasé ainsi dans “Ah per sempre io ti perdrei” que l’on aurait aimé plus fluide. La rondeur du timbre et la solidité du chant réussissent à équilibrer le quatuor vocal dans une homogénéité et une intensité de voix. Choix judicieux que celui des seconds rôles avec une Reine Henriette chantée par Julie Pasturaud dont la voix sonore de mezzo-soprano au timbre profond répond à la vaillance d’Arturo. Voix solide s’il en est, dont la puissance n’altère en rien la rondeur des sons. Franchise de l’émission pour le Bruno de Christophe Berry ; diction et projection dans une belle justesse donneront aux ensembles une belle homogénéité vocale. Homogénéité aussi, rendue par la voix grave d’Eric Martin-Bonnet, un lord Walton qui fait entendre un timbre généreux et profond. Un plateau remarquable par ses solistes mais aussi par la tenue vocale du Choeur de l’Opéra de Marseille. Quelle homogénéité des voix, quelle présence et quelle justesse dans les attaques! Rythme soutenu ou phrases musicales. Un déferlement d’applaudissement pour le Choeur et son chef Emmanuel Trenque. Nous apprécions toujours beaucoup le maestro Giuliano Carella dans cette musique belcantiste. Si le chef d’orchestre sait faire retentir l’orchestre dans des moments de grande force avec coups fortissimi de grosse caisse, il sait aussi retenir la fougue de ses musiciens pour de belles nuances pianissimi. Chaque intention du compositeur ressort avec plus ou moins d’intensité laissant parler la musique. Attaques d’une grande précision et nuances venant d’un orchestre très réactif. Toujours à l’écoute des chanteurs et dans des tempi allant qui enlèvent tout ennui, Giuliano Carella galvanise solistes, choeur et orchestre, évitant tout débordement d’une baguette énergique. Une soirée donnée à guichet fermé, preuve que le public ne s’y est pas trompé se souvenant peut-être d’une autre représentation mémorable il y a de cela quelques années, avec Alfredo Kraus, Christiane Eda-Pierre et Gianfranco Rivoli à la baguette. Applaudissements et bravos terminent cette soirée. Un triomphe ! Photo Christian Dresse